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heure leur nombre augmentait, leurs récits concordaient. Une dépêche du général Buendia vint confirmer l’étendue du désastre. Il annonçait qu’il se repliait sur Tarapaca, où il espérait rallier les débris de ses colonnes et demandait l’envoi immédiat de toutes les troupes qui occupaient encore Iquique. C’était l’évacuation de la place, mais elle était désormais inévitable. Bloquée par l’escadre chilienne, sur le point d’être prise à revers par l’ennemi victorieux, Iquique ne pouvait résister. Mieux valait encore se rendre à l’appel de Buendia et tenter à Tarapaca une résistance désespérée que capituler sans combat dans une place sans issue. Mornes et farouches les troupes défilèrent en rangs serrés, pendant que les compagnies de débarquement des bâtimens de guerre chiliens prenaient paisiblement possession de la ville abandonnée.

Buendia avait réussi, non sans peine, à gagner Tarapaca, petit bourg de douze cents habitans, situé à 10 lieues environ de Dolores, sur les bords d’une rivière, au fond d’une étroite vallée qui descendant de la Cordillère, aboutit au désert. Resserrée entre deux chaînes de collines, large tout au plus de 1 kilomètre, la vallée n’avait d’autre issue que sur les plaines de sable qui la séparent de Dolores et dans lesquelles erraient les débris de l’armée péruvienne. Buendia avait avec lui son chef d’état-major, le colonel Belisario Suarez, vaillant soldat, d’une indomptable énergie, doué d’une force de résistance extraordinaire, qui réussit à relever un peu le courage de son chef et le moral des troupes qui l’accompagnaient. Aussitôt arrivé à Tarapaca, il lança des messagers dans toutes les directions pour rallier les fugitifs. Mourans de faim et de soif, ils accoururent à son appel et trouvèrent à Tarapaca de l’eau, des vivres, du repos, et un commencement d’organisation. En quelques jours, plus de deux mille hommes avaient rejoint Tarapaca ; le 26 novembre, les colonnes parties d’Iquique arrivaient au camp avec un convoi de vivres et de munitions. Elles y apportaient un esprit nouveau, l’ardent désir d’une revanche, la conviction qu’elles ne pouvaient compter que sur elles-mêmes, que vaincues elles étaient perdues, et la résolution froide de vendre chèrement leur vie. La ligne de retraite dans la direction d’Arica leur serait évidemment barrée par l’armée chilienne ; mais il fallait à tout prix forcer le passage. Pour éclairer sa route, le général Buendia expédia une colonne de quinze cents hommes, avec ordre de s’assurer que l’issue de la vallée était libre. Il devait la suivre avec le gros de ses troupes, auquel une nuit de repos était nécessaire encore. Dans l’obscurité, cette colonne côtoya, sans les voir, les avant-gardes chiliennes et fit halte à trois lieues de Tarapaca.

A la suite de la bataille de Dolores, on a vu que le colonel chilien Sotomayor avait vainement insisté auprès du général Escala pour