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transporter en toute hâte sa batterie Krupp sur le versant menacé et couvre de son feu les colonnes péruviennes qui reculent et que les bataillons de Copiapo et de Coquimbo achèvent d’enfoncer. La déroute est complète. A cinq heures du soir, l’armée péruvienne était en pleine retraite. La retraite s’opérait avec un certain ordre, malgré les feux de l’artillerie chilienne et la poursuite du quelques corps déployés en tirailleurs, quand, à la nuit tombante, survint un phénomène, assez fréquent dans ces déserts et connu sous le nom de camanchaca, qui convertit cette retraite en débandade. Un brouillard intense et subit cachait aux fuyards jusqu’à la vue du sol sur lequel ils marchaient. Errantes et perdues dans cette brume, les compagnies se heurtaient les unes aux autres, ignorant la direction qu’elles suivaient, prenant leurs clameurs confuses, le bruit sourd de l’artillerie, le piaffement des chevaux, les mille rumeurs d’une armée en retraite, pour les mouvemens d’un ennemi acharné à leur poursuite. Épuisés de fatigue, sans repos depuis la veille, séparés de leurs approvisionnemens, les soldats fuyaient au hasard, abandonnant leurs blessés, leur artillerie démontée, leurs armes, et un matériel considérable.

À ce moment même, l’avant-garde du général Escala atteignait Dolores après une marche forcée de douze heures. Les renforts qu’il amenait pouvaient achever d’anéantir l’armée péruvienne, mais le général chilien n’osait croire à une victoire aussi complète. Il lui semblait impossible que douze mille hommes d’excellentes troupes eussent été mis en pleine déroute par une division inférieure de plus de moitié. Il ne doutait pas que l’armée péruvienne n’eût été repoussée, mais il la croyait ralliée à peu de distance et se préparant à reprendre l’offensive au point du jour. Résistant donc aux instances du colonel Sotomayor, il se refusa à lancer ses troupes à la poursuite des fuyards. Exténuées d’ailleurs par une marche excessive, elles avaient besoin d’une nuit de repos pour faire face à la lutte que le général Escala prévoyait pour le lendemain. Le lendemain, l’ennemi ne parut pas. Les premiers détachemens envoyés en reconnaissance ramenèrent des fugitifs et des blessés. Par eux l’on apprit l’étendue du désastre de l’armée péruvienne. Le sol jonché d’armes, de fourgons, de munitions, attestait une fuite désordonnée. Nulle part on ne rencontra un détachement en état de résister à une simple reconnaissance. La cavalerie était entièrement dispersée, l’artillerie avait abandonné ses canons. Tout le matériel restait aux mains de l’armée chilienne, à laquelle sa victoire ne coûtait pas plus de 250 hommes.

Que faisait pendant ce temps le général Daza à la tête des contingens boliviens ? Parti le 11 novembre d’Arica, au milieu de l’enthousiasme général des habitans, il devait rallier Dolores et y effectuer sa jonction avec le général Buendia le 17. Le 20, jour de la