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liaison avec Isotta ; et si on considère les longs délais que nécessitaient toujours au Vatican l’expédition de ces documens, on en arrivera à conclure que la demande avait été faite du vivant même de Polixène Sforza.

Nous touchons ici à un point grave de la vie de ce condottiere. Tous les historiens, l’accusent d’avoir empoisonné Geneviève d’Este, sa première femme, et étranglé la seconde, fille du duc de Milan. L’accusation est formelle : Pie II en fait le chef principal du réquisitoire prononcé en son nom par le fiscal du Vatican, et l’historien Clementini n’hésite pas à spécifier le genre de supplice qui mit fin aux jours de Polixène Sforza ; selon lui, il l’aurait étranglée en lui passant au cou une serviette qu’il serra jusqu’à ce que mort s’ensuivit. Si disse che morisse con un asciugatoio avvoltole strettamente al collo. Il est bien certain que le trépas de ses deux épouses, qui disparaissent à la fleur de l’âge, coïncidant avec la demande de légitimation des enfans qu’il avait eus d’Isotta, justifie jusqu’à un certain point la rumeur publique, et on est en droit de se demander si, en vertu de l’axiome célèbre : Is fecit cui prodest, Isotta ne fut pour rien dans ces résolutions épouvantables. Nous avons compulsé la correspondance qui s’échangea entre le seigneur de Rimini et le marquis de Ferrare, son beau-père, l’année même du meurtre, ainsi que celle adressée à Sforza quelques mois après la mort de Polyxène ; pas plus à Milan qu’à Ferrare, on ne semble avoir tenu rigueur à Sigismond et, au moment même où Pie II formule nettement l’accusation et exécute la sentence, les deux cours continuent encore leurs bons offices. L’argument a du poids, Nicolo d’Este recherchera même l’alliance de la maison de Rimini pour une autre de ses filles, et on se demande (encore que tout ce que nous savons de Sigismond rende vraisemblable une aussi monstrueuse supposition), si les historiens, et surtout le Vatican, n’ont pas chargé sa mémoire de plus de crimes qu’il n’en a réellement commis. Passerini, en écrivant la notice sur les Malatesta dans la Généalogie des familles italiennes, a été déjà frappé de cette circonstance et n’ose pas condamner Sigismond. Quoi qu’il en soit, la mémoire d’Isotta ne reste point chargée de cette accusation, et quand on voit ce même Pie II, quelques années après la mort des deux rivales d’Isotta, rendre un éclatant témoignage à la mémoire de la compagne de Sigismond, il n’y a pas à hésiter, il faut au moins l’absoudre.

La destinée d’Isotta devait être cruelle ; à partir de 1456, elle est presque constamment régente. Sigismond ne cesse de guerroyer, il va du nord au midi, dans le Napolitain, dans les états de l’église, dans la Toscane, dans le Milanais, en Morée, à Raguse, à l’Ile de Rhodes. Il laisse à sa femme le soin de ses états, dont chaque jour