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les plus autorisés, il faut se reporter au temps et aux mœurs de l’époque. Les historiens à gages et les poètes ont exagéré du tout au tout, c’est évident : elle n’avait ni haute culture intellectuelle, ni connaissance des sciences et de la philosophie, mais elle devait avoir reçu du ciel des dons naturels remarquables : et elle avait à coup sûr l’instinct des choses de la politique, une prudence innée qui firent d’elles, de 1460 à 1480, une sorte de Catherine de Médicis au très petit pied. Les artistes nous ont dit qu’elle était belle, les poètes ont chanté qu’elle était savante, c’est dans l’ordre. Ce qui est positif, c’est que Sigismond avait trouvé en elle une amie sûre ; plus et mieux qu’une maîtresse pleine d’attraits. Quand on la voit seule à Rimini, où elle exerce la régence, secourir Sigismond engagé dans les plus funestes aventures, conduire des négociations ardues avec Sforza, avec Ferrare, et Alphonse d’Aragon, user de toutes les ressources de son esprit pour détacher celui-ci d’une alliance, lui concilier celui-là, réaliser un emprunt, faire face à une exigence momentanée, engager tous ses joyaux pour lui envoyer cinq cents lances et lui permettre de jouer sur le champ de bataille la dernière partie qui peut le sauver : on comprend l’empire que cette femme, qui se fait si humble, cette poveretta qui demande adroitement pitié quand elle va régner en souveraine, sut exercer pendant trente ans sur ce farouche capitaine.

Isotta était souple et ne le heurtait jamais de front ; elle se fût brisée contre cette violente nature. Quand, emporté par sa rage de luxure, il se laissait entraîner à quelque horrible forfait, comme celui commis contre la femme du seigneur de Borbona, elle savait se contenir et n’éclatait point en amères récriminations : elle attendait son heure. On comprend qu’elle était une Égérie encore plus qu’une Dalila ; elle avait la tendresse voluptueuse et tranquille d’une femme experte aux choses de la vie, et elle avait compris cette nature ardente et pleine des plus violens contrastes. Elle savait apaiser ses fureurs, le calmer dans sa rage, et le consoler dans ses défaites, alors que, vaincu par Urbin ou par Sforza, humilie par les pontifes, par Venise ou par Aragon, il rentrait impuissant ; et farouche dans sa Rocca Malatestiana. Non moins habile aux choses du cœur et des sens qu’aux choses de la politique, elle savait temporiser, car elle avait l’expérience de ce terrible caractère : le caprice d’une heure et les fureurs bestiales seraient passagers, tandis que son pouvoir à elle devait durer autant que sa vie. Elle aspirait, en effet, à changer cette inclination en union durable.

Ce fut là sa grande œuvre ; Sigismond l’avait connue jeune fille, vers 1440, mais il n’avait point pris cette liaison au sérieux. En 1443, en effet, il faisait baptiser un fils qu’il venait d’avoir de sa maîtresse, la Vannetta dei Toschi de Fano ; le pape Nicolas V, la