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personnifient les vertus dont il est doué, on lit cette légende : Jupiter. Apollo. Ariminœus. L’encens de ses thuriféraires a troublé le cerveau du condottiere, il sent qu’il devient un dieu, et le seul immortel est absent de son temple. Non, ce n’est pas le Seigneur qu’on adore ici, c’est Sigismond, c’est Isotta ; c’est pour tous deux que brûlent l’encens et la myrrhe.

Dès l’année 1446, Sigismond, âgé de vingt-neuf ans et déjà veuf de Geneviève d’Este, déclare à la face de tous sa passion pour Isotta. Il demande à son médailleur sept représentations de sa maîtresse, et, afin qu’on n’ignore point les liens qui l’unissent à elle, au revers, son pensionnaire Matteo sculpte l’éléphant des Malatesta et il écrit en exergue : Isottoei. Ariminensi, Forma. Et. Italien. Decus. En même temps, Sigismond demande à ses poètes lauréats et à ses historiens à gages de célébrer celle qui vient de lui donner un fils ; et quatre poètes de cour, Porcellio Pandone, Basinio de Parme, Trebanio et Tobia del Borgo, écrivent les Isottoei, poème divisé en cinq livres, toujours empreint du même esprit que les œuvres des artistes, l’esprit de l’antiquité. Le premier chapitre est intitulé : de Amore Jovis in Isottam ; on y reconnaît Sigismond sous les traits de Jupiter ; les quatre autres sont composés d’élégies dans le goût de celles d’Ovide, on y verse l’encens à pleines mains, on épuise les termes de l’adulation et, dans leur délire littéraire, les poètes élèvent Isotta au rang des déesses :

Denique si dotes pergam numerare puellæ,
Nulla tibi par est fœmina, nulla dea.


On n’avait jusqu’ici d’autres documens sur la maîtresse de Sigismond que ceux laissés par les poètes et les historiens. Les poètes sont suspects, même lorsqu’ils s’appellent Guarino de Vérone, et Roberto Valturïo ; voyons les historiens. Garuffi, dans son Journal des littérateurs d’Italie, la définit ainsi : Donna di mirabile prudenza e versatissima nelle scienze. Julio Cesare Capaccio, dans son Elogium illustrium mulierum, est tout aussi flatteur : Erat hœc prudentia, disciplinarum studiis, sed poeticis prœcipue exercitationibus clara. Elle figure dans les recueils de femmes célèbres et, s’il faut en croire la légende, elle est poète. Lorenzo Legati, en effet, dans le Museo Caspiano, et Carlo Pinti, qui a écrit son éloge, l’ont placé dans le chœur d’Apollon :

Quam prudens, sapiens quam fueris
Chori Phœbi, culta poetria.


Clementini, qui est le grand classique pour tout ce qui concerne Rimini, attribue l’influence qu’elle exerçait sur Sigismond encore