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Sigismond, qui construisait alors sa résidence de la « Rocca Malatestiana, » était venu s’établir dans la casa Roelli. Dès le premier jour, il subit le charme et rechercha la jeune fille. Nous avons retrouvé à la bibliothèque Vaticane les poésies (encore inédites) qu’il composa pour elle au début de sa passion. Après avoir invoqué les astres et les oiseaux du ciel, il s’adresse aux animaux domestiques et aux bêtes fauves, au roi Salomon, qui, « vaincu par l’amour d’une païenne, adora à genoux les idoles, » à Hercule, « qui fut dompté par Omphale, » à Jacob, « qui soupira sept ans pour Rachel, » à David, « fou d’amour pour Bethsabée, » à Samson, à Priam, à Paris, à Hélène, à Didon et à Énée, à Narcisse, à Philis, à Léandre, à Jason et à Médée, à tous les amoureux enfin depuis l’antiquité jusqu’à Tristan et Yseult, jusqu’à Laure et Pétrarque. Il demande à tout le cortège des énamourés de venir s’agenouiller aux pieds de celle qu’il aime et de la supplier en grâce de prendre en pitié son cœur souffrant. Il appelle enfin à lui le chœur des anges et des chérubins, et les adjure, dans un concert céleste, de toucher le cœur d’Isotta et de la décider à couronner sa flamme.

Ce sera certainement une révélation pour tous ceux qu’intéresse l’histoire de la sculpture italienne, d’apprendre que tous ces bas-reliefs du temple de Rimini (dont Pie II condamnait les sujets comme entachés de paganisme, et que lui-même, ainsi qu’il le dit dans ses Commentaires, croyait arrachés aux temples grecs), ne sont que la traduction de chacune des stances de cette poésie de Sigismond adressée à Isotta. Mazuchelli, le grand numismate italien, s’arrêtait déconcerté devant ces allégories et ces symboles ; il sentait l’âme des choses antiques, croyait retrouver là leurs mythes, leurs croyances et la philosophie des Grecs. Barthélémy, l’auteur du Jeune Anacharsis, qui prit l’empreinte des caractères qui y sont inscrits pour essayer de pénétrer les origines de ces œuvres, renonça à expliquer l’énigme. Elle devient transparente quand on lit, dans le temple même, chacune des stances traduites en marbre par Matteo de Pasti, médailleur ordinaire de Sigismond et son pensionnaire. La rencontre d’un tel document devient d’un prix inattendu pour celui qui a vécu, pour ainsi dire, dans l’intimité du monument ; elle confirme plus que jamais, si on en pouvait douter un instant, cette pensée que l’édifice tout entier est consacré à Isotta et à Sigismond lui-même. Malatesta, vainqueur du roi d’Aragon, couronné par les Florentins aux acclamations de tout un peuple, le Poliorcetes semper invictus des légendes de Pisano, n’est plus un mortel au moment où il élève le temple de Rimini ; dans les bas-reliefs du tombeau de ses aïeux, porté sur un char triomphal traîné par des captifs, il figure au milieu des dieux de l’Olympe ; plus loin, aux plis de la robe d’une des figures allégoriques qui