Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une lutte furieuse s’engage entre la luxure et la pudeur : il la frappe, et, sur ce beau corps inanimé, le monstre assouvit son désir. Un cri d’horreur s’éleva dans toute l’Italie. Le pape envoya des troupes pour s’emparer du seigneur de Rimini ; au Vatican, un concile de cardinaux le condamna à mort par contumace, et on le brûla en effigie sur les marches de la basilique de Saint-Pierre[1]. Cependant, l’homme qui sort tout sanglant des bras de ce cadavre, par un étrange retour de sa nature, divinise son amante Isotta et lui adresse des poésies pleines de tendresse et de fraîcheur, et cet horrible époux qui, si on en croit le pontife, empoisonna Geneviève d’Este et étrangla Polyxène Sforza, sa seconde femme, a laissé des pastorales dédiées à son Isotta, où il compte les petites fleurs dont l’éclat diapré les vertes prairies.

Sigismond avait l’âme et l’esprit d’un païen, et le pontife l’accusa d’hérésie pour avoir élevé un temple, dédié à saint François, où jamais une seule fois il n’a fait allusion par un symbole, par une statue, par une image, au culte de la Divinité, alors que le nom de sa maîtresse est écrit depuis la base jusqu’au faîte, aux frontons, aux frises, aux balustrades, dans cent vingt bas-reliefs sculptés par des maîtres florentins, où ils évoquent Mars, les planètes, les signes du zodiaque, célèbrent les hauts faits du prince et glorifient la philosophie et les sciences dans un sanctuaire chrétien. Mais cet hérétique, à son lit de mort, recommande à ses enfans d’achever son œuvre ; cet époux criminel est un fils pieux qui rassemble les ossemens épars de tous ses ancêtres ; et pendant toute sa vie on le voit garder devant ses yeux, dans son cabinet d’études, le crâne de son aïeul, qu’il a fait sculpter en marbre et couvrir d’inscriptions religieuses. Enfin ce rebelle à Dieu et aux hommes, ce criminel tout passion et tout désir, a le cœur d’un amant et les entrailles d’un père, et quand, fatigués de son ambition, indignés de ses crimes et décidés à en finir avec ses perfidies, les princes de l’Italie se liguent contre lui, le traquent comme une bête fauve et l’acculent dans Rimini, on le voit trembler pour son amante et pour ses fils et les recommander au Tout-Puissant.

Celle qui allait devenir sa troisième femme, après avoir allumé en lui une flamme qui ne devait s’éteindre qu’à sa mort, s’appelait Isotta dei Atti ; elle appartenait à une famille noble de Rimini et elle y était née vers le même temps que lui. Son père, Francesco degli Atti, s’était enrichi par le commerce ; sa mère était morte de bonne heure. Elle habitait un palais près de la rue Santa-Croce, où

  1. Voir Clementini, le Berni, la chronique inédite de Nolfi Nolfe, conservée à la bibliothèque de Fano. Voir Ugolini, Storia dei duchi d’Urbino ; et enfin le réquisitoire prononcé par le fiscal du Vatican au nom de Pie II, dans ses Commentaires.