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bord de l’Adriatique, ce condottiere à la solde, toujours chevauchant par monts et par vaux et qu’on engageait du printemps à l’automne pour guerroyer avec les compagnies qu’il avait formées, devait, entre tous les princes de toutes les nations, rendre aux lettres et aux arts le plus solennel hommage qu’on leur ait peut-être rendu depuis l’antiquité. Comme il avait fait vœu d’élever, un temple au Seigneur et résolu d’y réunir les tombes de tous ses ancêtres afin d’en faire le panthéon des Malatesta. il voulut que L.-B. Alberti groupât autour du temple même, sur le bandeau des arcs extérieurs, les sarcophages de tous les savans, les philosophes et les artistes qui avaient vécu à sa cour ; ils formeraient ainsi autour de lui, dans la mort, le brillant cortège qu’ils avaient formé pendant sa vie.

Voilà le héros tel que le représentent les médailles de Pisanello et de Matteo du Pasti. Essayons de peindre l’homme.

Il était plein des plus étranges contrastes, et chez lui la luxure et la violence de caractère allaient jusqu’à la férocité. À la fois ardent et souple, il pouvait dissimuler longtemps pour mieux saisir sa proie ; mais le plus souvent il éclatait comme un furieux et montrait à nu ses sentimens sauvages. En pleine cour de Ferrare, admis très jeune encore (grâce à la victoire qu’il avait remportée à seize ans sur Urbin) à un congrès auguste composé des plus grands souverains de l’Italie, on le vit tirer son épée et appeler à un duel à mort ceux qui étaient d’un avis contraire au sien, comme s’il ne reconnaissait d’autre supériorité que celle de sa force. Le héros cachait un bandit de grand chemin, et l’homme, à un moment donné, devenait une bête féroce. Si l’on en croit le pape Pie II, il faudrait revenir aux temps barbares pour trouver de tels forfaits accumulés sur la tête d’un souverain. Une femme avait su le charmer, à laquelle il sacrifia toutes les autres ; il ne devait reculer ni devant le poison ni devant l’assassinat pour lui appartenir tout entier. Tout d’un coup cependant il oubliait l’empire d’Isotta ; ses sens s’éveillaient avec une sorte de fureur, et la folie s’emparait de son être. Au plus fort de sa passion pour elle, il avait rencontré une Allemande mariée à un seigneur de Borbona, magnifique créature qui avait allumé ses désirs. Il la convoite, il la possédera. Un samedi, le 19 décembre 1448, il va se poster sous les murs d’une villa de Fano, le Camminate ; là doit passer la dame, qui revient de l’église ; elle s’avance entourée de ses gardes, Sigismond attaque l’escorte, la disperse ; la femme tombe, il se précipite sur elle,