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Sigismond, fils de Pandolphe, est le plus illustre de sa race, il la personnifie tout entière, car il réunit en lui toutes les vertus et tous les vices de ses ancêtres. Avec Urbin, Alessandro Sforza, Alphonse d’Aragon et Piccinnino, il est regardé comme le plus grand homme de guerre de son temps ; et, pour l’attaque et la défense des places, dont il sait édifier les fortifications, il n’a pas de rival en Italie. Avec les premiers Médicis, Niccolo Niccoli, Gianozzo Manetti, Aragon, Frédéric de Montefeltre, Nicolas V et Pie II, Burckhart le compte parmi les initiateurs de l’humanisme. Il est peut-être, si on tient compte de l’exiguïté de son territoire, celui de tous ces capitaines qui représente le mieux les tendances d’une époque où, sous la haute culture des premiers temps de la Renaissance, apparaît encore l’homme du moyen âge avec sa rudesse native et sa violence indomptable.

La nature l’avait créé avec des sentimens farouches et une singulière énergie ; on le vit à l’âge de treize ans, un jour de rébellion, prendre l’initiative de la résistance, monter à cheval, rallier des soldats et mettre en fuite ceux qui voulaient assaillir son frère aîné. A quinze ans, à Lungarino, il remportait sa première victoire sur le duc d’Urbin. Cette précocité dans le courage et la valeur, il devait la porter dans la passion et dans le crime. Mince, de haute taille, et bien proportionné, d’une fière allure, avec les yeux petits et vifs, le teint légèrement basané et le nez aquilin, toute sa physionomie respirait l’intelligence et l’audace jointes à la ruse. Ses cheveux, qui cachaient le front, suivant la mode du temps, étaient aplatis au sommet, et, toujours comprimés par l’usage du casque, formaient autour de la tête une épaisse couronne. La dignité de son maintien imposait le respect ; son éloquence chaleureuse inspirait à ceux qui le suivaient le mépris de la mort ; et il avait le don d’entraîner les plus indécis. Ses soldats l’aimaient malgré sa sévérité, parce qu’il était juste et vivait en soldat au milieu de ses troupes, dont il partageait toutes les souffrances. Son courage était d’un héros : il ne connaissait nul obstacle ; en vingt circonstances, à la façon des preux, on le vit sortir des rangs pour défier le chef ennemi l’appelant à un combat singulier en face des deux armées. Son corps était de fer ; il semblait que le repos ne lui fût jamais nécessaire et qu’il restât insensible aux rigueurs du climat ; il buvait l’eau saumâtre, supportait la faim sans se plaindre, et chevauchait nuit et jour sans trêve. Terrible dans sa colère, implacable dans sa haine, il envoyait des cartels au duc d’Urbin, tentait d’empoisonner Sforza, et, à bout de violences et de crimes, acculé dans sa dernière possession, il résolut un jour d’appeler Mahomet II en Italie comme il y avait appelé les Angevins. Cependant, ce bouillant capitaine savait supporter patiemment les contrariétés d’un siège, et pendant qu’on