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dans le château de Verucchio, qui lui avait été donné en dot. Ce fut le premier chef guelfe des Romagnes ; il devait vivre tout un siècle et devenir le guerrier légendaire des grandes luttes engagées contre les gibelins. Dante allait le stigmatiser envers ineffaçables. Verucchio eut quatre fils : l’un Giovanni il Sciancato (le déhanché) fut le mari de Francesca du Polenta, connue dans l’histoire et immortalisée dans la légende sous le nom de Françoise de Rimini ; un autre était Paolo il Bello, l’amant de Françoise et la victime de son propre frère. Le troisième fut le plus célèbre : c’est ce cruel Malatestino del Occhio, le dogue altéré de sang du XVIIe chant de l’Enfer de Dante :

E il Mastin Vecchio, e il nuovo du Verucchio
Che de Montagna fece il mal governo
La dove soglion far de denti succhio.


On voit que cette race des Malatesta inspirait le poète ; il est facile de montrer, le poème à la main, quelle est la part de l’histoire et celle de l’imagination dans la conception de l’Alighieri. Dante a une façon superbe de retracer l’état historique des temps qu’il traverse. Si on considère qu’il avait trente ans le jour où le vieux Verucchio fut acclamé seigneur de Rimini, qu’il était ardemment mêlé lui-même à ces luttes dont il devait être la victime expiatoire, et qu’il finit ses jours à Ravenne, chez les Polenta, près du neveu de cette Françoise qu’il avait chantée, on ne pourra s’empêcher de reconnaître que le passage suivant du XVIIe chant de l’Enfer a toute la valeur d’un document historique. Le pécheur, qui, d’une voix gémissante, au milieu des flammes, demande au compagnon de Virgile quel est le sort des Romagnes, est le comte Guido de Montefeltre, qui vient de fonder son pouvoir à Urbino. Dante lui répond : « Ta Romagne n’est et ne fut jamais sans guerre dans le cœur de ses tyrans ; mais au moment où j’ai quitté la terre, je n’y ai point laissé de guerre déclarée. Ravenne est ce qu’elle a longtemps été ; l’aigle des Polenta s’étend sur la ville et la couvre de ses ailes. La terre qui soutint la longue épreuve et fit un amas sanglant de corps français gémit encore sous les griffes du lion vert, et le vieux et le nouveau dogue de Verucchio, qui traitèrent si cruellement Montagna, percent toujours de leurs dents la même proie. » Le passage est rigoureusement exact ; Gervia et Ravenne étaient en effet aux Polenta, qui portent « partie d’or et d’azur à l’aigle partie de gueules et d’argent. » La terre qui soutint longtemps la dure épreuve, c’est Forli, qui obéissait aux Ordelaffi, dont l’écusson est « coupé d’or, fascé d’or et de sinople de six pièces au lion rampant de sinople. » La lutte où les Français ont péri par centaines, c’est celle soutenue par Martin IV, un Français, né à Montpincé,