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et Alessandria revendiquent leur indépendance et chassent les représentans du Milanais. A Brescia, le sang coule dans les rues, et, sur les étaux du marché, on vend de la chair humaine, pendant qu’à Milan, sous les yeux du jeune duc Giovanni-Maria, on égorge l’abbé de Saint-Ambroise. Que font donc ces illustres capitaines auxquels Jean Galeas a confié la conduite de ses troupes ? Tous ont trahi, à part ce fidèle Jacopo dal Verme, type d’honneur et de loyauté. Revenus à leurs premiers instincts, ils tiennent la campagne et ils pillent ; Facino Cane ravage Parme, Pavie, Plaisance, Crémone et Alessandria ; Barbiano passe d’abord au pape, puis se vend aux Florentins ; il violente même la veuve de son maître en la contraignant de céder Assise et Bologne au saint-siège. Les deux Porro tiennent la duchesse enfermée dans la forteresse et lui imposent leurs créatures. Pandolfo Malatesta a pris pour lui Monza, demain il sera à Brescia, dont il se déclarera seigneur. Terzo veut pour lui Parme et Reggio ; Giorgio Benzoni réclame Créma, et Giovanni du Vignate convoite Lodi ; quant à Gabrino Fondulo, il aspire à régner dans Crémone. Seul, intègre et fidèle, dal Verme médite de sauver la monarchie lombarde, et il marche sur Milan, d’où il chasse Facino Cane. Mais tant d’héroïsme deviendra inutile, car l’illustre capitaine ne parviendra pas à protéger le duc contre ses propres entraînemens. Aussi, découragé, dal Verme ira-t-il bientôt mourir en héros en combattant contre les Turcs pour les Vénitiens. C’est un autre condottiere, le fameux Carmagnola (qui va mourir torturé par ordre du conseil des Dix), à qui reviendra l’honneur de reconstituer les états de Visconti et de sauver la couronne lombarde.

Cette fragilité des trônes est commune à tous les états fondés par les condottieri ; et elle tient à leur origine même. Formés de lambeaux qu’ils ont cousus ensemble à la pointe de l’épée, leurs territoires leur sont arrachés de leur vivant pièce à pièce, ou bien, à leur mort, tout s’effondre, et chacun de leurs officiers se taille un état dans leur domaine, à moins que le saint-siège ne réclame l’exercice d’un pouvoir qu’il n’a fait que déléguer par une investiture.

Entre tous ces petits états, comtés, duchés ou seigneuries, ainsi constitués sous la suzeraineté purement nominale du saint-siège ou celle de César, roi des Romains, l’état de Rimini eut peut-être les destinées les plus tragiques, et la dynastie qui le gouverna est, à coup sûr, la plus turbulente en même temps que la plus singulière et la plus féconde en personnages dignes de fixer la curiosité. A des qualités militaires de premier ordre, la plupart des seigneurs de cette dynastie ont joint le plus chaleureux enthousiasme pour les travaux de l’esprit, et, à l’origine même de la renaissance, on peut dire qu’ils en ont été les artisans actifs. Leur histoire reste attachante comme un roman et mouvementée comme un drame ; elle réunit