Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les payaient le mieux, comme capitaines à la solde, et tous les états de l’Italie se disputaient leur épée, qu’ils mettaient aux enchères. Les Castracani, les Scaliger, les Sforza, les Montefeltre, les Gonzague et les Malatesta sont les plus illustres parmi ceux qui ont ceint la couronne ; les Acuto, les Dal Verme, les Barbiani, Terzo, Carmagnola, Piccinnino, Gattamelata et Golieone, sont les plus fameux parmi ceux qui restèrent de simples capitaines. Souverains ou condottieri, tous ont la même origine ; leur génie seul diffère, et surtout les occasions que les circonstances et le temps leur ont offertes.

Tour à tour, suivant l’intérêt du moment, la tradition de leur famille ou celle de la région où ils s’étaient implantés, on vit ces soldats qui venaient d’échanger leur nom de capitaines contre celui de seigneurs, demander au saint-siège et à l’empire la consécration de ce droit usurpé ; dès lors ils ajoutèrent à leur titre celui de « vicaires du saint-siège » ou de « vicaires de l’empire. » Si leurs destinées furent brillantes, leurs trônes furent fragiles, et on peut se faire une idée de leur caducité en même temps qu’on aura la preuve de la duplicité de tous ces capitaines, si on assiste à la mort de Jean-Galeas Visconti, le plus grand d’entre eux.

Né condottiere, ayant rêvé, vers la fin du XIVe siècle, la reconstitution du royaume lombard, il était devenu souverain de tout le pays depuis les Alpes jusqu’à l’Adriatique, sauf Padoue, Modène, Mantoue et le territoire de la Sérénissime. Dans son armée, la plus grande qu’on eût vue jusqu’alors, il comptait pour capitaines les plus grands noms militaires de son temps : Alberico du Barbiano, le grand-connétable du roi de Naples, Jacopo dal Verme, le vainqueur d’Armagnac, Ugolotto, Biancardo, les deux Porro, Ottobuono Terzo, Galeas de Mantoue, Carlo et Pandolfo Malatesta, Gabrino Fondulo et Facino Cane, l’époux de Béatrice di Tenda. Jamais, depuis Barberousse l’Italie n’avait vu plus grand pouvoir concentré dans la main d’un seul homme. En 1402, aux premiers jours de ce XVe siècle qui devait être l’époque brillante des seigneuries, Jean Galeas meurt : sa succession semble assurée ; son fils Giovanni aura le domaine de Milan, Filippo-Maria aura celui de Pavie. Cependant, sa cendre à peine refroidie, toutes les factions qu’il a domptées se relèvent et secouent le joug, et le même jour voit se former des factions nouvelles. Les Rossi, ligués entre eux, arrivent jusque sous les murs de Parme ; les guelfes chassent les gibelins de Crémone et les Ugo Cavalcabo s’y font acclamer ; les Sacchi entrent à Bellinzona, les Rusconi occupent Côme et les bords du lac, les Soardi s’emparent de Bergame pendant que les Scotti et les Anguissola pénètrent dans Florence. La dissension est partout : à Lodi, on brûle les Vistarini dans leur palais, les Scaliger profitent du trouble pour rentrer dans Vérone ; Sienne