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toujours au grand complet et ses nombreux moyens de transport combinés dans une pensée stratégique, jeter sur nos frontières en neuf jours de temps, montre en main, à l’heure voulue, 250,000 hommes effectifs sans de voir attendre tous les effets de la mobilisation qui, quelques jours après, ajoutera à cette avant-garde formidable pour le moins 600,000 combattans. Ces conclusions, monsieur le ministre, après le succès de la conférence de Londres, pourront paraître chagrines, et cependant, étant mathématiquement vraies, elles s’imposent forcément à notre politique. J’aime mieux, en tout cas, en ce qui me concerne, m’appesantir sur le danger et au besoin l’exagérer que de ne pas m’y arrêter. Mes réflexions sont du reste émises exclusivement au point de vue des forces allemandes sans tenir compte de notre situation militaire, qui m’est inconnue et dont je n’ai pas à me préoccuper dans ma correspondance. »

C’était un Caveant consules ; il devait se perdre comme tant d’autres cris d’alarmes dans le tourbillon fiévreux, cosmopolite de Paris où tout s’altère, les résolutions vaillantes et l’amour réfléchi du pays.

Déjà l’heure n’était plus aux soucis ; l’exposition était ouverte, on allait s’étourdir.


Nunc est bibendum, nunc pede libero
Pulsanda tellus.


« Dans tout autre pays, disait Frédéric II après la retraite de Prague, la consternation eût été générale, on aurait jeûné à Londres, exposé le sacrement à Rome, coupé des têtes à Vienne ; en France, où les petites choses se traitent avec dignité et les grandes avec légèreté, on se contenta de chansonner le maréchal de Belle-Isle. »


XV. — LES SOUVERAINS À PARIS.

Le télégraphe jouait entre Berlin et Saint-Pétersbourg. On concertait et combinait la présence simultanée des deux souverains à Paris. À Berlin, on affirmait ne céder qu’au désir de l’empereur Alexandre ; à Saint-Pétersbourg, au contraire, on prétendait ne se soumettre qu’aux instances du roi Guillaume. Le fait en lui-même n’était pas moins déplaisant pour la cour des Tuileries, il avait le caractère d’une démonstration. Le roi Guillaume et l’empereur Alexandre ne consultaient que leurs convenances personnelles, sans tenir compte de celles de l’empereur Napoléon, qui leur offrait l’hospitalité et les avait séparément invités. Ils semblaient mettre de l’affectation à lui notifier à l’avance que toutes les grâces de son accueil comme tous les calculs de sa politique ne parviendraient pas à détendre ou à plus forte raison à rompre les liens, de leur intimité.