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La Haye, au lieu de perdre un temps précieux, on avait prescrit à M. Baudin de vaincre, coûte que coûte, les scrupules du roi grand-duc et les hésitations du gouvernement hollandais, la cession eût été, selon toute vraisemblance, un fait accompli avant la réunion du parlement du Nord. Il eût été difficile alors au gouvernement prussien, après l’approbation que, le 9 mars, le roi avait donnée aux déclarations si explicites de son ministre, de ne pas se résigner à l’abandon du grand-duché et à plus forte raison de s’y opposer à main armée. Mais l’heure était passée, lorsque, le 26, le 28 et le 30 mars, M. Benedetti et M. de Bylandt expédiaient dépêches sur dépêches, pour demander à leurs gouvernemens de précipiter la conclusion.

Dès l’ouverture du Reichstag, la partie était sérieusement compromise ; elle était irrévocablement perdue après les interpellations adressées au chancelier au sujet de l’entrée éventuelle du Luxembourg et du Limbourg dans la Confédération du Nord.

M. de Bismarck se trouvait, par le fait de nos tergiversations, strictement, sinon moralement dégagé de ses promesses ; il lui était permis, en ne s’inspirant plus que de l’intérêt allemand, d’équivoquer et d’affirmer que nous avions manqué au programme qu’il nous avait tracé et que nous avions laissé passer les échéances qu’il nous avait fixées. Il pouvait élargir le débat, se mettre à l’unisson des passions militaires et nationales, s’attaquer à nos convoitises et se servir du Luxembourg comme d’un prétexte pour procéder à l’unification de l’Allemagne et asseoir sa prépondérance. Les événemens se seraient précipités à coup sûr au gré du parti militaire si, le 1er avril, à l’heure même où se produisait l’interpellation concertée de M. de Bennigsen, M. de Zuylen, avec ou sans arrière-pensée, n’avait pas soulevé une question de forme pour remettre au lendemain la signature des deux conventions. Sans cet ajournement fortuit ou calculé, la guerre n’eût pas été conjurée.

La politique impériale, si nette, si confiante en elle-même et si résolue à ses débuts, s’était altérée dès que, contestée, elle s’était sentie atteinte dans son prestige ; elle était devenue hésitante, mobile, craintive, en même temps qu’imprévoyante et téméraire ; elle s’engageait dans les combinaisons les plus hasardeuses avec l’espoir d’y retrouver la fortune sans mesurer les risques, sans se précautionner contre les accidens, et lorsque les occasions qu’elle avait audacieusement provoquées s’offraient à elle, elle manquait de clairvoyance, de décision pour les saisir et les faire tourner à son avantage. Elle aurait pu, depuis la première entrevue de Biarritz, prendre M. de Bismarck cent fois au mot, dans les momens où les sacrifices s’imposèrent à ses calculs, où son intérêt lui commandait de nous satisfaire. Elle aurait pu se prémunir contre ses défaillances, tout comme elle s’était