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la France, elle avait commencé sa délivrance, c’était avec le concours de la Prusse qu’elle l’avait achevée[1]. Mais ses sympathies, malgré ses assurances officielles, se reportaient plutôt vers la Prusse[2]. Déjà le comte Arese et le marquis Pepoli, qui jadis faisaient la navette entre Florence et Paris, pour arracher à l’ami et au parent des concessions que le souverain aurait dû leur refuser, ne passaient plus les Alpes. Le gouvernement italien n’avait plus d’illusions à entretenir aux Tuileries ; il n’avait plus rien à demander. Il secouait une tutelle qui lui pesait, il s’irritait, non sans motifs, des reproches d’ingratitude dont il commençait à être l’objet ; il n’admettait pas que la reconnaissance pût servir d’argument en politique, il se tenait pour dégagé par la cession de Nice et de la Savoie. Il ne consultait plus que ses intérêts personnels, qui, partout, dans la Méditerranée, à Tunis, à Constantinople, en Égypte, en Palestine se trouvaient en opposition avec ceux de la France[3]. Si bien qu’au moment où nous étions menacés d’un conflit avec la Prusse, il méditait, sous l’inspiration d’un agent secret de M. de Bismarck, M. Bernardi, que notre diplomatie devait retrouver à Madrid en 1870, l’envahissement des États pontificaux, qui, quelques mois plus tard, aboutissait à Mentana, L’Italie était pour les Tuileries une espèce d’arche sainte ; elle était, on l’a dit un jour, le luxe trompeur de la politique impériale. Mettre son dévoûment et sa fidélité en doute, c’était toucher le souverain dans une de ses fibres les plus vulnérables. Aussi la tâche de notre légation à Florence n’était-elle pas aisée. Nos ministres et nos chargés

  1. Lettre du baron de Malaret, 21 avril 1867. — « J’ai pu constater chez les membres du gouvernement du roi une sympathie que je crois réelle, mais qui est visiblement contenue par le désir de ne pas se compromettre. Tout en reconnaissant la modération de nos prétentions et tout en blâmant l’ambition excessive de la Prusse, on répète volontiers qu’en cas de conflit, les intérêts de l’Italie ne se trouveraient pas directement menacés. Il n’est pas besoin d’une grande clairvoyance, pour comprendre que le gouvernement italien, laissé à ses propres inspirations, ne songe pas à nous témoigner ses sympathies autrement que par des vœux. »
  2. Dépêche de Francfort. 3 mai 1867. — « Le cabinet de Berlin, daprès ce qui me revient de bonne source, aurait tout lieu d’être satisfait du gouvernement italien. Il résulterait, en effet, de la correspondance du comte Usedom, toujours très influent à Florence, que dans ses entretiens intimes avec le baron Ricasoli ainsi qu’avec M. Rattazzi, il aurait pu se convaincre que, par reconnaissance envers la Prusse aussi bien que par intérêt, l’Italie ne sortirait pas, quel que soit le cours des événemens, de la plus stricte neutralité. La cour de Prusse se montrerait fort rassurée par ces déclarations ; elle se plaît à les considérer comme un véritable succès pour sa politique. »
  3. Lettre du baron de Malaret, 23 avril : « Garibaldi se proposerait de prendre le commandement d’une expédition qui, organisée à Gènes, irait débarquer sur le littoral romain, tandis qu’à la première nouvelle d’un mouvement insurrectionnel à Rome, des bandes d’émigrés se tiendraient prêtes à franchir la frontière méridionale. Il n’est pas douteux que le parti révolutionnaire ne redouble d’efforts, et qu’il compte profiter des événemens, pour provoquer un conflit avec le gouvernement pontifical, à l’insu ou de connivence avec le gouvernement italien »