Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démentait plus, elle restait invariablement conciliante ; les rares dépêches d’un caractère pacifique que publiait l’agence Wolff, sortaient de son cabinet. On savait aussi que, dans une audience de congé donnée au ministre de Suisse, il avait exprimé le ferme espoir que la paix ne serait pas troublée. Malheureusement, peu d’heures après, le prince royal disait dans ses salons que la guerre lui paraissait désormais inévitable, et ce propos, reproduit par les journaux, provoquait aussitôt dans toutes les bourses d’Europe une baisse énorme sur les fonds publics. Que fallait-il penser de ces déclarations si radicalement inconciliables, recueillies dans la même journée de la bouche du souverain et de celle de l’héritier du trône ?

Il était évident qu’il se poursuivait dans l’ombre une lutte secrète, pleine de péripéties, entre ceux qui voulaient précipiter le dénoûment et ceux qui inclinaient pour l’ajournement de la guerre. Il en coûtait aux généraux de perdre l’occasion d’en finir avec la France. Ils tentaient de suprêmes efforts pour provoquer la lutte, ils se servaient de nos arméniens, dont ils exagéraient le danger, pour entraîner le gouvernement à leur suite. Le roi des Belges, toujours à Berlin, ne cachait pas à M. Benedetti que l’état-major-général suivait nos préparatifs d’un œil inquiet, qu’il les disait plus avancés qu’on ne le supposait et qu’il allait jusqu’à prétendre qu’avant peu nous aurions sept cent mille hommes à mettre en ligne. M. de Bismarck, de son côté, affirmait dans un entretien avec le ministre d’Autriche que nos arméniens prenaient un développement tel que la Prusse se verrait obligée de recourir à des mesures défensives. À l’entendre, tandis que la Prusse évitait toute provocation, l’empereur était entraîné à la guerre malgré lui, le Luxembourg n’était qu’un prétexte ; il se plaignait avec animation de nos préparatifs continus et avec amertume du langage de nos journaux officieux. M. de Wimpfen appelait en vain son attention sur les attaques véhémentes que la Gazette de l’Allemagne du Nord et la Gazette de la Croix dirigeaient sans relâche contre le gouvernement et même contre la personne de l’empereur ; il ne se laissait pas convaincre. Les violences de la presse prussienne éveillaient dans toute l’Europe de vives inquiétudes. On s’en alarmait particulièrement en Angleterre. Elles étaient d’un fâcheux présage pour lord Stanley. L’affectation avec laquelle M. de Bismarck parlait de nos arméniens, comme s’il tenait à justifier sa conduite, lui inspirait de sérieuses appréhensions. Il reconnaissait avec le prince de La Tour-d’Auvergne que le gouvernement français manquerait à tous ses devoirs s’il se laissait prendre au dépourvu par un adversaire armé jusqu’aux dents et prêt à entrer en campagne. Il croyait la reine Augusta et le prince royal animés de sentimens pacifiques, mais impuissans à faire prévaloir les