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les encyclopédistes ; en histoire, il rejetait Guizot, qui était protestant, Michelet, qui était républicain, Augustin Thierry, qui avait été saint-simonien ; il n’eût pas blâmé le rétablissement de l’inquisition et n’en était pas moins le plus aimable des hommes. Si emporté, si excessif qu’il fût dans sa conversation, il restait d’une irréprochable courtoisie dans ses relations et était avec ses subordonnés d’une bonté paternelle. Quand les discussions philosophiques ou religieuses l’avaient trop agité, il prenait son violoncelle, jouait une mélodie de Schubert et se trouvait apaisé, comme Saül par la harpe de David. De tous les agens consulaires que j’ai côtoyés pendant mes voyages en Orient, Botta est celui qui m’a laissé le plus sérieux souvenir. Ses gestes anguleux, ses éclats de voix, ses yeux caves et profonds, dont la pupille était à peine dilatée, sa marche saccadée à travers le salon du consulat, sa façon précipitée de rouler son chapelet, ses bonds de fureur lorsqu’il entendait émettre une théorie qui lui déplaisait, son attendrissement subit dès qu’il craignait de vous avoir blessé par un mot trop vif, tout en lui avait une originalité dont il était impossible de n’être pas frappé. Il disait : « Je suis un civilisé revenu à l’état sauvage. » Il avait reçu une forte éducation ; son père, médecin, historien et poète, l’avait bien forgé et de bonne heure ; il aimait l’archéologie et le prouva lorsque, consul à Mossoul, en 1844, il fit mettre le premier la pioche sur les décombres où dormaient les palais de Korsabad. On peut voir au Louvre, dans le musée assyrien, ce que la science lui doit ; si on l’eût écouté, si de misérables questions d’argent n’étaient intervenues, tous les monumens perses et parthiques qui sont aujourd’hui au British Museum appartiendraient à la France. Lorsqu’on lui parlait de ses fouilles aux environs de Ninive, il se dérobait et laissait comprendre que ce sujet lui était pénible. Pendant les quinze jours que nous passâmes à Jérusalem, Botta nous accueillit avec une bonne grâce que je n’ai point oubliée ; il entoura de toutes précautions notre excursion à la Mer-Morte et, à Mâr-Sabah, il fit arrêter et condamner au service militaire les hommes d’une tribu qui nous avait tiré quelques coups de fusil lorsque nous passions près d’eux. Protecteur officiel des catholiques d’Orient, il n’avait pas grande estime pour ses protégés : « Ils ne sont bons qu’à faire leur main, me disait-il, ils tirent parti de tout ; ils volent ou mendient, selon les circonstances, mais ils prennent le bien d’autrui, qui les attire invinciblement. » Je pus constater bientôt, par une petite aventure personnelle, combien Botta avait raison.

Le 14 septembre, nous avions établi notre campement à Baâlbeck, la tente se dressait près d’un ruisseau, sous un noyer, en face des temples. Nous avions amené avec nous Joseph Brichetti, notre drogman d’Égypte, vieil Italien de la rivière de