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s’opposait à tant d’injustice, ne laissaient pas la conscience publique s’endormir. Au contraire, il semble que le moment où. la politique des cabinets hésitait ou fléchissait fût celui où l’opinion populaire, dont les mouvemens étaient beaucoup plus lents et l’intelligence beaucoup moins rapide que de nos jours et qui s’était laissé tromper d’abord par les manèges équivoques de Frédéric, commença à comprendre et à s’émouvoir. A Londres, à La Haye, partout où on jouissait de la liberté de parler et d’écrire, des pamphlets passionnés circulaient à la défense de l’innocence persécutée et de la liberté de l’Europe compromise. Les mêmes sentimens se faisaient jour à la tribune anglaise, où le ministre Walpole, dont le crédit était en déclin, était vivement pressé par l’opposition parlementaire d’offrir à Marie-Thérèse un secours plus efficace que celui de ses bons offices. En Silésie, les populations rurales, qui portaient à la maison d’Autriche un dévoûment héréditaire, remises de leur premier étonnement, souffrant d’ailleurs des maux inséparables d’une invasion, se remuaient dans l’ombre et s’organisaient en bandes armées, inquiétant les derrières de l’armée prussienne. Dans les diètes tumultueuses de Pologne, la noblesse catholique s’indignait tout haut de voir à ses portes une province fidèle tomber entre les mains d’un prince protestant, et on pouvait prévoir qu’une forte pression allait s’exercer sur le faible Auguste III, poussant ainsi à la fois Dresde et Varsovie à une levée de boucliers en faveur de l’Autriche. Le danger devint tout à fait sérieux lorsque dans les derniers jours de février une révolution de palais, dont la suite expliquera suffisamment la nature et la portée, menaça de faire prévaloir les mêmes influences à Saint-Pétersbourg. Frédéric put craindre alors de se voir pris à revers et enveloppé par une coalition ennemie avant d’avoir eu le temps de mener à fin aucune des deux alliances dont il avait artificieusement retardé la conclusion et marchandé le concours : « La boîte de Pandore est ouverte, s’écriait le pauvre Podewils avec désespoir ; tous les maux en sortent à la fois. »

Sans se faire illusion sur la gravité du péril, Frédéric n’eut garde pourtant de laisser paraître un instant d’alarme. Faisant au contraire tête à l’orage, il ne négligea rien pour séduire de nouveau l’opinion qui s’éclairait. Il revint précipitamment à l’armée, entra de sa personne à Breslau, y tint des audiences solennelles, écoutant les plaintes des habitans et y répondant par des complimens, donnant des fêtes où étaient invitées les dames de la bourgeoisie sans distinction de culte, absolument comme eût pu faire un souverain légitime dans sa capitale. Il fit venir de Berlin, pour prendre part à ces cérémonies, ses familiers les moins militaires, les savans, les