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fidèle à ses promesses, mais comment aurait-il pu sacrifier le droit d’autrui ? Quant à l’échange de la Lorraine contre la Toscane, il s’est traité directement entre le grand-duc et l’empereur défunt : « Il est aisé de penser, dit enfin galamment le cardinal, que le prince votre cher époux a eu beaucoup de peine à céder le patrimoine de ses pères. Mais, quoi qu’il en soit, il en est bien récompensé par le bonheur de posséder Votre Majesté[1]. »

A moins d’être sourd, il fallait comprendre. Aussi, sans cesser de solliciter l’éclaircissement de réponses dont l’ambiguïté seule était significative, la reine au même moment se mettait en devoir de soulever partout en Europe l’indignation contre son perfide adversaire. Elle adressait lettres sur lettres, protestations sur protestations à toutes les cours garantes de la pragmatique, à tous les représentans des princes allemands siégeant à la diète de Ratisbonne, à tous les présidens des cercles militaires ou judiciaires de l’empire. Bien qu’écrites dans les formes ordinaires de la chancellerie aulique, ces pièces sont presque toutes marquées d’un caractère original ; un souffle généreux y circule et en brise par intervalle (si on peut ainsi parler) le moule pédantesque. On sent que la princesse y a mis la main elle-même, et la langue latine (qu’elle parlait, on le sait, familièrement) ne gêne pas la vive expression de ses sentimens personnels. — « C’est sous le manteau, dit-elle, des assurances les plus amicales qu’ont été cachées les demandes les plus hostiles. Le passé n’avait rien vu, l’avenir ne verra rien de pareil. Un envoyé autrichien était encore à Berlin, quand, à la faveur même de cette apparence pacifique, le roi de Prusse a envahi un sol étranger et troublé le repos d’une province amie. On peut juger par là quel sort menace tous les princes si une telle conduite n’est pas châtiée par leur effort commun. Il ne s’agit donc pas de l’Autriche seule, il s’agit de tout l’empire, de toute l’Europe. C’est l’affaire de tous les princes chrétiens de ne pas laisser briser impunément les liens les plus sacrés de la société humaine… Tous doivent s’unir avec la reine et lui fournir les moyens d’éloigner d’eux un tel danger. Quant à elle, elle opposera sans crainte à l’ennemi commun toutes les forces que Dieu lui a confiées, et de ce service rendu au bien général, elle ne demandera d’autre récompense que la réparation du dommage que ses états ont souffert et ce qui sera nécessaire pour les garantir dans l’avenir contre de pareilles atteintes[2]. »

Ces démarches énergiques et partout répétées, où tant de courage

  1. D’Arneth, t. I, p. -389, Marie-Thérèse à Fleury. — Fleury à Marie-Thérèse, 26 février, 26 mars, 10 avril 1741. (Correspondance de Vienne, ministère des affaires étrangères).
  2. D’Arneth, t. II, p. 153-154.