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avant, se tenait dans la coulisse et à la porte de toutes les conférences, en faisant connaître, non sans un peu d’impatience, cette résolution inébranlable, ajoutait qu’on aurait pu espérer mieux, parce que des traces d’ébranlement étaient visibles et chez le chancelier Zinzendorf et même chez le grand-duc, à qui souriait assez l’idée d’une coalition contre la France. Mais il n’ignorait pas d’où partait la résistance et que tout échouait encore devant la fermeté d’un grand cœur : c’était la reine qui arrêtait sur toutes les lèvres l’aveu de faiblesse prêt à s’échapper.

Il y avait même dans la forme du refus quelque chose d’ironique, d’impolitiquement blessant, parfois de ces traits acérés et plus perçans que forts, comme ceux qui partent de la main d’une femme offensée. Ainsi le même Robinson raconte que, pendant qu’on négociait à Vienne, la reine de Hongrie faisait dire à Berlin, par l’intermédiaire de l’archevêque de Mayence, qu’elle était prête à tout oublier, pourvu qu’on lui demandât pardon, et Bartenstein, celui des conseillers qui avait ouvertement sa confidence, allait répétant que vouloir remettre le roi de Prusse dans la bonne voie sans commencer par le châtier, c’était vouloir blanchir un Maure[1].

Pendant quelque temps, on put croire que cette fermeté venait d’illusion encore plus que de courage et tenait à une confiance aveugle et un peu puérile dans le secours de la France, et, en effet, le vieux Bartenstein, auteur du traité de 1735 et négociateur de toutes les garanties de la pragmatique, avait de la peine à croire à la destruction de son œuvre. « Il est Français jusqu’à la folie, » écrivait Robinson impatienté. Peu à peu cependant, le bruit de la nomination de Belle-Isle et de l’entraînement de l’opinion courante à Versailles arrivant par tous les échos, il fallut se rendre à l’évidence. Dès le 10 janvier, le chargé d’affaires d’Autriche à Paris, Wasner écrivait que, pressant Fleury de faire enfin adresser par Louis XV à la reine la réponse qu’une difficulté d’étiquette retardait encore, il n’avait obtenu de lui que des détours évasifs, entrecoupés de soupirs : « Si vous saviez, monsieur, combien je suis accablé, avait dit le cardinal, et quelle est ma situation, vous me plaindriez. Je suis, comme dit l’Écriture, in medio pravœ et perversœ nationis. » La réponse arriva pourtant, et même avec le titre royal en suscription, ce qui causa au premier moment beaucoup de joie. Mais on ne tarda pas à s’apercevoir que cette politesse ne signifiait absolument rien, puisque la politique de Fleury consistait précisément à ne pas se mêler, en apparence, du litige élevé sur la succession

  1. Raumer, Beiträge zur neuen Geschichte, t. II, p. 105 et suiv. — D’Arneth, t. I, p. 128 et 131.