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politique jusque-là caressante et timorée de Fleury n’avait que momentanément endormies. L’Angleterre, en particulier, ne pouvait laisser de sang-froid découronner cette maison d’Autriche, sa plus fidèle alliée dans des luttes encore récentes. Les compatriotes de Marlborough ne pouvaient rester insensibles au sort des héritiers du prince Eugène, et l’intervention britannique était d’autant plus aisée à prévoir qu’au même moment, comme je l’ai dit, les relations, sinon des deux cabinets, au moins des deux peuples anglais et français, et surtout des deux marines, s’aigrissaient d’heure en heure. La guerre, déclarée avec l’Espagne, menaçait à tout instant de s’étendre à la France, et déjà, dans les parages lointains de l’Océan, des croisières échangeaient par mégarde ou par anticipation des coups de canon. Pour soutenir cette lutte ou pour la prévenir, l’intérêt évident de l’Angleterre lui commandait de saisir l’occasion qui lui était imprudemment offerte et d’ameuter contre l’ambition française toutes les puissances militaires et morales de l’Allemagne. C’était le cas de reformer cette coalition de forces et de haines sous laquelle avait fléchi un instant l’orgueil de Louis XIV ; et puisque le petit-fils prétendait, lui aussi, à la prépondérance, l’heure allait venir d’organiser contre lui la même résistance que contre son aïeul.

Mais pour réaliser un tel dessein, un préliminaire était indispensable ; c’était de réconcilier la Prusse et l’Autriche, afin de les unir dans l’effort commun. La paix à rétablir entre Frédéric et Marie-Thérèse devenait par là, du fait même de la France, un intérêt britannique de premier ordre et presque une affaire de salut européen. Frédéric pouvait désormais compter qu’il aurait à Vienne, dans l’ambassadeur d’Angleterre, un agent presque aussi ardent que le sien propre pour lui faire obtenir les concessions qu’il demandait et pour faire cesser à tout prix le trouble intérieur du corps germanique. Ainsi sa politique à double face recevait le prix, non de sa loyauté assurément, mais de sa perfide adresse. Et c’était précisément l’acte d’agression dont toute l’Europe s’était indignée qui allait le faire courtiser à l’envi par ceux-là mêmes qui au premier moment avaient crié le plus haut au scandale : car ses soixante mille hommes campés au cœur de la Silésie devenaient la carte maîtresse que chacun voudrait mettre dans son jeu ou retirer de celui de son adversaire. De Versailles, on lui laissait espérer un concours militaire pour achever sa conquête ; de Londres, on allait mettre une médiation à son service pour lui en assurer la confirmation gracieuse. Tenir l’oreille ouverte aux deux négociations, aussi bien la belliqueuse que la pacifique, les laisser courir en enchérissant l’une sur l’autre, puis se décider le plus tard possible pour celle qui offrirait le plus grand avantage au meilleur marché : ce fut la résolution qu’il