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Belle-Isle, flatté de l’offre, très décidé à ne pas la laisser échapper, n’en fut pas moins inquiet, presque révolté du ton d’indécision douloureuse qui respirait dans les paroles du cardinal. Loin de se laisser ébranler, il répondit sur le ton que sait prendre la volonté quand elle veut s’imposer à la faiblesse. Il traita dédaigneusement de scrupules chimériques le respect des engagemens de la pragmatique. Le roi, dit-il, n’avait pu ni porter atteinte à des droits qui n’étaient pas les siens, ni manquer à la parole tant de fois donnée à un fidèle ami et parent comme l’électeur de Bavière. Il eut plus aisément raison encore du projet si légèrement formé par le cardinal d’appuyer une des prétentions de l’électeur, sans le soutenir dans l’autre, la seule au fond qui fût réelle et pratique. La dignité impériale (il n’eut pas de peine à le démontrer) ne donnant aucun pouvoir effectif, ne pouvait être recherchée pour elle-même. Elle accroissait le prestige d’un souverain puissant comme l’archiduc d’Autriche ; elle ne serait qu’un vain ornement sur la tête d’un roitelet moins puissant que plus d’un de ses vassaux. Un empereur, sous peine d’être ridicule, devait être souverain pour tout de bon, avec des états et une armée proportionnée à son rang. A quoi servirait, d’ailleurs, ajouta-t-il, de rester neutre et de regarder faire ? Vienne et Munich en voudraient également au roi, et ses ennemis, voyant qu’il n’est servi que par des ministres indignes de ses ancêtres, s’éloigneront de lui pour se rapprocher de ses adversaires. Le roi de Prusse, laissé seul, s’accommoderait à nos dépens. — Vous dissipez mes scrupules, dit assez plaisamment le cardinal ; mais que faire ? Vous ne me proposez pourtant pas d’envoyer tout de suite une armée en Allemagne ? — Je ne vois guère d’autre moyen de s’y prendre, reprit Belle-Isle, et si l’on m’en croyait, l’augmentation des troupes serait déjà décidée. De l’humeur dont je vois qu’est le roi de Prusse, je ne crois pas qu’il se contente de promesses qui ne seraient pas accompagnées de moyens d’exécution[1]. »

Le cardinal, qui demandait grâce, mit timidement en avant l’idée qu’on pouvait se contenter, au moins en commençant, de donner à l’électeur un subside pour mettre ses troupes sur le pied de guerre. Mais l’ardent Belle-Isle ne lui laissa pas longtemps cette

  1. Il faut signaler ici une nouvelle inexactitude des Mémoires. Belle-Isle suppose que le roi de Prusse, dès ce moment, demandait pour gage de l’alliance projetée, l’envoi de troupes françaises en Allemagne. C’est encore une erreur chronologique, la première proposition transmise par Valori ne contenant aucune demande de ce genre. Au contraire, Frédéric y flattait le goût pacifique du cardinal en lui faisant entrevoir l’espérance de n’intervenir que comme modérateur dans la lutte engagée. Ce ne fut que plus tard, et après le premier pas obtenu, que Frédéric, on va le voir, exigea le second.