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descendante, comme la maison régnante à Munich, d’un des souverains électifs de la Pologne. À ce titre, il correspondait régulièrement avec l’électeur et avait reçu la confidence de ses chagrins quand la Pragmatique fut sanctionnée par l’adhésion de la France, et dès le lendemain de la mort de Charles VI, c’est à Bizy que s’adressait le futur prétendant pour se faire recommander à Versailles.

Rien de plus naturel que Belle-Isle fût appelé à représenter la politique qu’il n’avait cessé de prêcher. Mais ce qui fixait surtout sur lui tous les regards, c’est que le grand dessein qu’il avait formé, l’opinion populaire le croyait seul capable de l’accomplir. le ton de confiance qui respirait dans son langage fascinait une génération déjà un peu affaissée et qui aimait qu’on l’encourageât à ne pas douter d’elle-même. Il avait d’ailleurs ce qui plaît toujours aux peuples, le goût et l’instinct de la grandeur. Il cherchait le grand en toutes choses pour l’éclat autant que pour la réalité, mais pour la France autant que pour lui-même ; mêlant toujours à son ambition privée ce qu’on appelait, dans la langue patriotique d’alors, la passion de la gloire du roi L’expérience seule devait apprendre si son génie pouvait atteindre aussi haut que tendait sa pensée, et si l’ardeur même de son âme ne recelait pas (comme on l’a dit) plus de feu que de force. Mais en attendant l’épreuve, si l’on devait combattre, tout ce qui voulait briller et vaincre désirait que ce fût sous ses ordres.


III

Fleury, voyant grossir l’orage, avait deux partis à prendre qui, l’un et l’autre, auraient sauvé l’honneur de son nom : il pouvait indifféremment y céder ou y faire tête. Si la résistance lui paraissait commandée par l’intérêt public, son ascendant sur son ancien élève était bien encore assez grand pour qu’une parole nettement prononcée, et d’accord au fond avec la pensée royale, eût dissipé le bruit qui se faisait autour de lui. S’il jugeait l’entraînement irrésistible, il pouvait quitter la place et laisser à d’autres le soin de conduire une campagne que (l’eût-il approuvée) il ne pouvait raisonnablement espérer de mener à fin. A quatre-vingt-douze ans, il était bien temps pour un homme d’état de se décharger du poids des affaires, et pour un prêtre de songer à son salut.

Mais l’âge, qui accroît la faiblesse, ne désintéresse pas l’égoïsme. Fleury ne trouva en lui-même le courage, ni de la résistance, ni du sacrifice, et n’eut pas même le mérite de céder de bonne grâce. Comme c’est l’ordinaire des esprits faibles, en se laissant forcer la main, il ne s’exécuta qu’à demi. Les ennemis de l’Autriche demandaient à la fois qu’on démembrât ses états héréditaires et qu’on lui