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étroites de son éducation, au soin, j’ai presque dit au culte, pour sa personne royale que lui avaient inspiré d’abord des précepteurs très obséquieux, puis la digne compagne à qui un mariage inégal l’avait uni au sortir de l’enfance. La vertueuse Marie Leczinska, éblouie de sa grandeur inespérée, n’osant presque lever les yeux sur son époux, le considérant comme un dieu qu’aucun trouble ne devait atteindre, craignant à tout moment de le perdre et de tout perdre avec lui, le gardait, par instinct, comme à vue dans son intérieur. Élevée loin du rang suprême, où aurait-elle pris, d’ailleurs, pensait-on, pour les comprendre et s’y associer, les nobles inspirations qui conviennent à la royauté ?

Aussi les gens de cour (et le nombre en était grand) qui se piquaient d’être plus susceptibles sur le point d’honneur que scrupuleux sur la morale, constataient-ils avec plaisir que l’influence de la reine, très grande dans les premières années de son mariage, s’était affaiblie par degrés et venait enfin de complètement s’effacer. Une disproportion d’âge, chaque jour plus sensible, le déclin prématuré des agrémens plus que médiocres dont la pauvre princesse était douée, avaient peu à peu éloigné le roi d’une intimité conjugale dont le régime avait toujours été un peu sévère. Dès que ce refroidissement fut visible, la nouvelle en fut accueillie avec joie par tout un peuple de serviteurs toujours prêts à voir dans les vices des grands une mine de fortune à exploiter. Grandes dames de mœurs faciles, jeunes seigneurs passés maîtres dans l’art des plaisirs délicats, ce fut à qui s’empressa de présenter aux yeux du prince tous les attraits qui pouvaient émouvoir ses sens. Une véritable conspiration fut ourdie pour l’écarter de ses devoirs domestiques, et tous les mémoires du temps affirment, sans avoir été contredits, que le vieux cardinal y entra, au moins par connivence, soit, qu’en tuteur prudent, il craignît d’importuner son pupille par trop de sévérité, soit qu’il soupçonnât toujours Marie Leczinska de regretter son prédécesseur, le duc de Bourbon, à qui elle avait dû le trône. Le cœur du roi fut ainsi comme une place assiégée de toutes parts, et qui, livrée de l’intérieur, se rendit bientôt sans trop de résistance. La cour et la ville ne tardèrent pas à apprendre que Louis XV avait les faiblesses de Henri IV, ce qui parut aux connaisseurs autant de fait pour imiter son courage et prétendre à son génie. N’y avait-il pas de tout temps, sur les rapports nécessaires de la galanterie et de la valeur, une opinion courante dans le monde comme dans les lettres, un code de ces maximes que Boileau a si bien nommées des lieux-communs de morale lubrique et qui défrayaient aussi bien les chansons à boire sur le Vert galant que les fadeurs d’opéra sur les amours de Mars et de Vénus ? Molière lui-même n’avait-il pas dit :