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plaisir ou de dévotion, ayant mille occasions d’approcher de l’oreille du maître. Le regard sévère de Louis XIV l’aurait contenue, la nonchalance de Louis XV lui donnait carrière ; rien ne modérait plus sa fougue et sa loquacité intempérante. Actes et paroles des ministres, elle citait tout à son tribunal. Le murmure de ces voix confuses et tranchantes formait autour des gens en place ou en crédit un bourdonnement qui aurait fait perdre le sens aux cerveaux les plus rassis. Or, dès le premier jour, la jeunesse de la cour fut passionnée pour courir sus à l’Autriche défaillante, et, de crainte de manquer une si bonne occasion de guerroyer, réclama à grands cris une entrée en hostilité immédiate.

Ce n’était pas seulement, chez ces nouveaux preux, ce goût d’aventures, cet attrait de la renommée naturels à tout ce qui porte l’épée pour la première fois. Ce fut un entraînement d’autant plus vif que la dernière guerre, bien qu’honorable pour la France, n’avait que médiocrement satisfait tous les héros en espérance. Par une particularité qu’expliquait assez l’âge du premier ministre, tous les commandemens dans cette campagne avaient été réservés à des généraux sur le retour, formés à l’école du dernier règne. Le plus illustre, Villars, était même mort de vieillesse sous le harnais, enviant le sort de son camarade Berwick, qu’un boulet emportait à la même heure, mais qui avait lui-même plus de soixante ans. Noailles, Broglie, Coigny, qui les avaient remplacés, n’étaient guère moins avancés dans la vie. Ils n’étaient jeunes qu’aux yeux de Fleury, qui les avait vus naître et grandir et à qui (j’ai vu cette illusion chez d’illustres vieillards) tout ce qui n’avait pas cinquante ans paraissait imberbe. Rien d’étonnant qu’une nouvelle race militaire se fût élevée derrière ces vétérans, qui brûlait de paraître en scène à son tour et de conquérir, dans une guerre qui fût son œuvre, une gloire qui lui fût propre, et elle se montrait d’autant plus impatiente de descendre dans l’arène qu’elle espérait, cette fois, arracher le roi à sa torpeur et l’entraîner avec elle sur le chemin de la victoire.

Il était temps, disait-on, car dans cette atmosphère frondeuse, on ne s’était pas fait faute de remarquer tout bas que le roi, dans la fleur de l’âge, n’avait pas paru pressé jusque-là d’imiter ses aïeux en prenant part lui-même aux opérations militaires, ni pour les commander comme Henri IV, ni pour en partager les périls comme Louis XIII, ni même pour les surveiller de loin comme Louis XIV. Ce n’était pas sur le bord d’un fleuve traversé par ses armées, c’était au fond de Versailles, loin de l’écho des combats, qu’il s’était laissé attacher par sa grandeur sans trahir même l’apparence d’un regret. Comme aucun soupçon ne s’élevait sur la bravoure d’un Bourbon, on attribuait cette réserve peu naturelle aux habitudes