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étant consommée, il n’était ni nécessaire, ni même prudent de vouloir la pousser plus avant. Un regard jeté en arrière suffisait pour montrer que, tout étant fait dans cette voie, rien n’était plus à faire. Que de terrain gagné, en effet, de François Ier à Louis XV ! que d’espace parcouru ! que de grandeur acquise ! quel éternel sujet d’honneur pour la maison royale à qui a été dû ce progrès sans pareil ! et quelle reconnaissance doit garder encore la postérité qui conserve, même après nos malheurs, les débris mutilés de cet héritage ! Au début du XVIe siècle, Charles-Quint était empereur d’Allemagne, roi d’Espagne, maître de l’Italie et des Pays-Bas : un coup de baguette magique venait de le rendre possesseur, au-delà des mers, de trésors qui semblaient inépuisables et de contrées sans limites. C’était l’empire du monde qu’il avait fallu arracher au nouveau César. Une seule nation, la France, j’ai presque dit une seule famille, avait pris en main la cause de l’indépendance de tous les peuples et elle avait suffi à la tâche. Cent ans après, grâce à la France et à ses souverains, le fantôme de la monarchie universelle avait disparu, mais une réalité menaçante subsistait encore : la maison d’Autriche, affaiblie et divisée, sans être détruite, partagée en deux branches qui tenaient toujours au même tronc, enserrait encore la France au nord, à l’est et au sud, par une étreinte redoutable. Entre la Flandre, l’Alsace, la Franche-Comté, la Navarre et la Méditerranée sillonnée par ses escadres, elle avait partout une entrée facile sur notre sol par des frontières ou des côtes ouvertes ou dégarnies. C’est alors que Richelieu jeta hardiment les armées françaises dans tous les hasards de la guerre de Trente ans ; et depuis cette heure une série de victoires était venue détacher une à une toutes les mailles de ce réseau de fer. Rocroi, Senef et Fleurus avaient amené les cessions successives de Cambrai, de Besançon et de Strasbourg. L’orgueil de Louis XIV, sévèrement puni par les malheurs de sa vieillesse, avait un instant compromis ce résultat, mais sans le détruire, et, en définitive, après des traverses, juste châtiment de quelques fautes, la fortune nous était revenue et Denain avait affermi sur la tête d’un Bourbon les couronnes d’Espagne et de Sicile.

L’horizon s’était aussi dégagé de toutes parts, et Louis XV, à Versailles, respirait pleinement à l’aise. S’il eût été vraiment digne de recueillir les fruits de cette politique à longue vue, il se fût borné à en jouir ou du moins, en travaillant à la compléter, il se fut gardé de la compromettre. Il eût reconnu dans le traité de 1735 l’attestation éclatante du changement opéré entre les forces relatives des deux royautés rivales. Loin de repousser les recommandations paternelles de Charles VI, invoquant, sur son lit de mort, la garantie française comme le suprême espoir de sa race, il les eût accueillies comme un hommage, avec une fierté bienveillante. Et, de fait,