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digestion fut laborieuse, elle ne fut pas longue, car dès le 20 octobre, ils remettaient au roi un mémoire raisonné, pressentant, pour arriver au but, deux plans à suivre au choix, ou plutôt à défaut l’un de l’autre.

Voici quel était le mécanisme de ce programme à double fond. Il y avait, disaient sentencieusement les commissaires, deux routes principales à suivre. La première, la plus sûre, celle qui exposait le moins aux revers et inconvéniens auxquels sont sujettes les grandes acquisitions, consisterait à obtenir de bonne grâce la cession désirée de la cour de Vienne, en lui promettant en échange le concours actif de la Prusse pour la préserver de tous les périls qui la menaçaient, lui conserver la couronne impériale, et la défendre contra quoscumque. Et comme il était à prévoir que, même à ce prix, la reine trouverait encore difficile de se résigner à perdre un morceau d’aussi grande importance que la Silésie, le meilleur véhicule pour l’y déterminer serait de lui lâcher une couple de millions pour subvenir à ses besoins les plus pressans. Si la cour de Vienne avait le bon sens d’accueillir ces ouvertures bienveillantes avec toute la reconnaissance convenable, le moment serait venu alors de faire agréer ce projet aux puissances maritimes, à la Russie, à tous ceux que pouvaient inquiéter les souvenirs de l’ambition de Louis XIV, et de leur faire valoir le service que le roi rendait à la cause commune de l’équilibre européen, en tirant d’un péril certain la seule puissance qui pût tenir tête à la maison de Bourbon.

Que faire cependant, si la cour de Vienne avait l’obstination et la bigoterie de ne pas apprécier suffisamment le service qu’on voulait lui rendre ? — Alors il faudrait bien en venir à une autre voie, moins solide et plus rabatteuse ; ce serait de se retourner hardiment et de tendre la main à tous les ennemis de Marie-Thérèse, Saxe, Bavière, y compris la France, qui pouvait trouver son compte à ôter la couronne impériale aux descendans de Charles-Quint, On leur représenterait la conquête de la Silésie comme le premier acte d’une puissante diversion faite dans le Nord pour leurs intérêts. Bien entendu qu’il ne serait plus question alors de l’équilibre européen à protéger contre la France, mais des libertés germaniques à défendre contre l’Autriche. Enfin, il y aurait bien un troisième moyen qui serait la perfection : ce serait, dans le cas où une tierce puissance, la Saxe ou la Bavière, par exemple, prendrait l’initiative de faire entrer des troupes en Silésie, d’y entrer soi-même pour la défendre et de finir par la garder. Mais il n’était pas raisonnable d’espérer une chance si favorable[1].

  1. Pol. Corr., t. I, p. 74 et suiv.