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LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE


Depuis quinze jours, les rentes ont beaucoup monté et les valeurs ont beaucoup baissé. C’est un spectacle auquel nous n’avions pas assisté depuis bien longtemps. Il était convenu que nos fonds publics ne méritaient plus d’attirer l’attention des spéculateurs, la cherté des reports ayant anéanti toutes chances de bénéfices, tandis que chaque valeur ayant son groupe particulier, son syndicat spécial, les acheteurs trouvaient dans la progression continue des cours une large compensation aux sacrifices que leur imposaient à chaque liquidation les exigences croissantes du capital.

Le 15 octobre dernier, les reports ayant atteint des taux extravagans, la hausse des valeurs a été arrêtée. On a reculé avec brusquerie ; les pessimistes prononçaient déjà le mot de krach ; la bourse de Paris allait donc avoir sa crise, comme Vienne et New-York avaient eu leurs catastrophes en 1873 ! Il n’y a pas eu de krach à la façon viennoise, parce qu’il n’y en pouvait pas avoir. Les créations autrichiennes et berlinoises de cette époque ne reposaient que sur le vide, et le jour de la débâcle tout s’est écroulé ; tandis que s’il est juste de dire des sept huitièmes des sociétés par actions dont les titres sont cotés à Paris, que leur valeur réelle est inférieure à leur valeur nominale, il est tout aussi certain qu’elles représentent quelque chose de substantiel et supporteraient pour la plupart le choc de l’adversité. Ajoutons qu’à Vienne, comme à Berlin, la spéculation n’était pas appuyée par des capitaux, et que pendant de longs mois avant le krach, on avait pris l’habitude de payer des reports de 50, 100 et 150 pour 100.

Nous n’en sommes pas à ce point, et tout fait espérer que nous n’y arriverons pas. Nos créations sont plus solides, les capitaux surabondent et les intermédiaires se montrent prudens. Dans de telles conditions, la baisse est possible, mais la chute soudaine du marché n’est pas à craindre. Nous avons vu la baisse commencer aussitôt que la disproportion est devenue trop éclatante entre les prix des reports et le revenu des valeurs. Les agens de change n’ont pas hésité à recourir à d’énergiques mesures ; ils ont invité certains de leurs cliens à restreindre leurs engagemens ; ils en ont liquidé d’office quelques autres. Il paraît même qu’on a été jusqu’à mettre en quelque sorte à l’index elle ou telle valeur trop en vue. Pendant une quinzaine de jours, il n’a été question que du déblaiement de la place opéré d’une façon