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autrichienne depuis la mort du baron Haymerlé, aurait déclaré, dit-on, devant la délégation hongroise, que ce voyage du roi Humbert était dû exclusivement à l’initiative italienne et qu’il était incompétent pour en expliquer les motifs. M. de Kallay aurait ajouté que, dans sa situation intérieure et extérieure, l’Italie avait du principalement considérer son propre intérêt, que pour l’Autriche elle « n’avait rien à demander à l’Italie et rien à craindre d’elle. » Chose tout aussi significative ! le comte Andrassy lui-même aurait approuvé et confirmé les paroles de M. de Kallay en disant à son tour, qu’après tout les irrédentistes étaient plus dangereux pour la monarchie italienne que pour l’Autriche. C’était singulier au lendemain de la visite de Vienne, et fait pour tempérer les illusions italiennes. Heureusement le télégraphe s’est chargé de se rectifier lui-même en transmettant une autre version des discours de M. de Kallay et du comte Andrassy. Les paroles ont été revues, corrigées et atténuées ; la pensée elle-même n’a peut-être pas beaucoup changé, parce qu’en définitive elle est assez conforme à la réalité des choses, et ce qui reste vrai ou très vraisemblable, c’est que, s’il y a eu un échange de courtoisies sincères entre les souverains à Vienne, le voyage du roi Humbert n’a pu conduire à aucun acte sérieux et précis.

Au fond, que se sont proposé les Italiens par une démarche qui n’aurait eu rien que de naturel et de simple dans d’autres circonstances et qui a pu paraître un peu affectée aujourd’hui ? S’ils ne veulent que concourir au maintien de la paix universelle, selon le mot de M. Mancini, c’est à coup sûr le meilleur des sentimens : ils n’ont qu’à joindre leurs efforts à ceux de toutes les puissances qui, indistinctement, incontestablement aujourd’hui, désirent la paix, et une démonstration d’apparat était peut-être inutile. S’ils se sont promis quelque appui pour des desseins moins avoués, comme le laisseraient croire parfois leurs projets d’armemens, ils pourraient être les dupes d’une illusion ; ils ne trouveraient probablement dans l’alliance austro-allemande qu’un appui tout défensif, une garantie contre des agressions qui ne les menacent d’aucun côté, et ce qu’il y a de plus grave, c’est que, pour se mettre en garde contre des menaces extérieures qui n’existent pas, ils seraient obligés de commencer par aliéner jusqu’à un certain degré, sur certains points, leur politique intérieure. Ce serait du reste curieux et édifiant de voir l’évolution conservatrice italienne conduite par un ministère de la gauche ! À parler franchement, l’erreur des Italiens est de mettre parfois trop de raffinemens dans leurs combinaisons et de ne pas voir que, dans une situation où ils n’ont rien à craindre, la meilleure politique pour eux est de s’occuper de leurs affaires, du développement moral, économique de cette patrie italienne qui a besoin de leurs efforts, de leur sagesse, bien plus que d’alliances mystérieuses.

Ch. de Mazade.