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le dernier cabinet laisserait en se retirant devant le pouvoir nouveau qui n’attendait que ces récens débats pour entrer en scène.

Et maintenant, en effet, dans cette succession d’expériences ministérielles qui, depuis trois ou quatre ans, forment la vie de la république, c’est le tour du ministère décisif, prédit, annoncé et appelé comme le ministère nécessaire. La place est libre. Le dernier cabinet, après s’être expliqué devant la chambre des députés, qui ne l’a ni congédié ni retenu, s’est définitivement éclipsé. L’homme du jour, M. Gambetta, a été immédiatement appelé par M. le président de la république et il a reçu tout pouvoir pour constituer une administration selon ses idées, selon ses vœux, pour choisir ses collègues, pour se faire lui-même président du conseil avec un portefeuille ou sans portefeuille. C’est un ordre nouveau qui commence ; c’est peut-être aussi une aventure ! Là est la question. Tout dépend évidemment de la composition du cabinet, du programme qu’on se propose de suivre ; mais c’est ici justement que la situation se complique.

Tant que le pouvoir n’est qu’une éventualité entrevue à distance, à l’horizon, dans une perspective encore indécise, tout est pour le mieux : on se laisse porter par le courant, par la popularité, par les flatteries. Le jour où il faut décidément dire ce qu’on veut, mettre la main à l’œuvre, la question change de face. Il s’agit d’aborder les points épineux, de choisir les hommes, de concilier des incompatibilités, de prévoir des antagonismes, de satisfaire des ambitions ; il s’agit de mettre au monde ce phénomène qu’on a longtemps appelé ou laissé appeler avec complaisance « un grand ministère, » — et il faut bien que cela ne soit pas aussi aisé qu’on l’avait dit, il faut bien que le dénoûment ne fût pas tout préparé comme on l’aurait cru, puisque la crise d’aujourd’hui ressemble ni plus ni moins à toutes les crises, puisque l’enfantement est assez laborieux. Voici déjà quelques jours que M. Gambetta a passés à délibérer, à négocier, à tâtonner, allant d’une combinaison à une autre combinaison. Tantôt, à ce qu’il parait, il aurait voulu réunir au gouvernement quelques-uns des membres du dernier cabinet, et même des anciens cabinets ; tantôt il est revenu à l’idée de former un ministère entièrement nouveau qui ne serait, en définitive, qu’une réunion de collaborateurs apprentis, de sous-secrétaires d’état agissant sous la direction unique et exclusive. Ah ! M. Gambetta commence peut-être à s’apercevoir que c’était bien plus commode d’être une grande influence au Palais-Bourbon, de dominer le gouvernement sans subir tous les jours les ennuis du gouvernement, d’avoir dans les cabinets successifs des représentans, des ministres qui vivaient par lui ou tombaient devant sa volonté. À l’heure qu’il est, c’est lui qui est le personnage dans l’embarras, le pouvoir à qui on demande compte de ses actions et de ses promesses, de ce qu’il fera ou de ce qu’il ne fera pas. Il faut qu’il se décide, et les difficultés qu’il éprouve ne lais-