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Jimènès, excelle à peindre justement ces beautés de campagne, moitié dames, moitié villageoises, et quelques traits lui suffisent pour en graver le souvenir dans les mémoires. Une ironie légère qui ne blesse pas, une manière de dire alerte et dégagée, la plaisanterie d’un homme d’esprit qui raille volontiers les menus ridicules de ses personnages, sans cesser pour cela de les aimer et de s’intéresser à eux, si ce ne sont pas tout à fait les qualités d’un romancier de race, — au moins dans Pépita Jimenès et dans les Illusions de don Faustino, — ce sont les qualités d’un conteur aimable et facile qui se délasse d’occupations, je ne veux pas dire plus graves, ce qu’à Dieu ne plaise, mais réputées plus sérieuses, telles que de traduire de l’allemand ou de siéger aux cortès, en se jouant dans le récit de mœurs. On se sent comme conduit par un guide dont la culture d’esprit serait infiniment plus étendue que celle de ses personnages, l’expérience infiniment plus diverse, la portée d’intelligence enfin de beaucoup supérieure à son œuvre, et le roman sans doute en est moins roman, si je puis dire, mais l’homme n’en est que prisé davantage. Le Commandeur Mendoza, toutefois, est bien, dans tout le sens du mot, un véritable roman. Nous avons essayé de le montrer. Et comme roman par conséquent, les défauts qu’on y pourrait noter, quelques longueurs, de la subtilité, de la déclamation parfois, on en a vu des traits, — et le tout aggravé par la traduction un peu lourde, n’empêchent pas que ce soit, parmi les œuvres de don Juan Valera, l’œuvre significative. Il est vrai qu’il nous resterait à savoir ce que c’est qu’une Doña Luz, dont le traducteur du Commandeur Mendoza semble nous promettre, au nom d’un mystérieux inconnu, la traduction prochaine.

Quant à la question que nous avons cru pouvoir effleurer à l’occasion de ce roman, comme il importe que nul ne s’y méprenne, il ne sera peut-être pas mauvais d’ajouter que l’auteur n’est nullement ce qu’on appelle un romancier catholique, mais un très libre esprit, quoique très respectueux de la liberté des autres, probablement parce qu’il tient à la sienne. On pourrait prétendre, au surplus, non-seulement qu’un peu de casuistique ne saurait nuire au romancier, ni même à l’auteur dramatique, mais encore que la casuistique est l’âme même de l’art de représenter les passions. Voyez plutôt le roman anglais, depuis les romans de Richardson jusqu’à ceux de George Eliot, et repassez dans votre souvenir le répertoire du Théâtre-Français depuis le Cid, qui est un cas de conscience, et jusqu’à Daniel Rochat, qui est un autre cas de conscience. Ce qui est malheureusement vrai, c’est que la casuistique n’est à l’usage, comme nous l’avons fait observer, que des âmes délicates, et depuis quelques années, on paraît mieux aimer à peindre des natures grossières.


F. BRUNETIERE.