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toute honte, tout souvenir du devoir… Vous vous trompiez. Vous étiez maître de mon âme ; mais, comme dans un pays généreux et fier où le conquérant ne possède que le sol où son pied pose, vous ne me possédiez que quand je m’oubliais moi-même. En tout autre temps, je me levais contre vous, j’essayais d’expier ma faute par la pénitence, et je luttais pour reconquérir ma liberté… Vous qui ne cherchiez que joie et plaisir, vous vous êtes fatigué de lutter. Ainsi je fus délivrée de mon horrible esclavage. Dieu soit loué qui l’a voulu ainsi ! » La citation est un peu longue : je la crois caractéristique. Prenez un peu la peine, en effet, d’y démêler les nuances. Il n’y a pas à douter de la sincérité du sentiment. La chose est difficile à dire en français. Nous sommes toujours un peu Gaulois. N’est-il pas clair cependant que l’amour adultère de cette femme n’a pas altéré, ni seulement entamé, l’intégrité de sa dévotion ; et si la passion, par surprise, a été pour une fois la plus forte, ne sentons-nous pas qu’elle dit vrai quand elle reconnaît dans cette dévotion même, non pas certes la justification, ni l’excuse, mais l’explication de sa chute. C’est bizarre, mais c’est ainsi. Et j’en reviens toujours à ce point : nos romanciers, en général, ne savent pas assez ou ne veulent pas voir combien la nature humaine est complexe, et, pour mille raisons que ce n’est pas le temps d’énumérer, l’amas de contradictions et l’incompréhensible énigme que nous sommes.

On pense bien maintenant que la situation de don Fadrique et de doña Blanca, comme aussi la situation de tous les personnages dont le sort est lié à la résolution qu’ils prendront, ne peut se dénouer que par la mort de don Fadrique ou de doña Blanca. C’est doña Blanca que le romancier a sacrifiée. Vainement don Fadrique a trouvé le moyen de faire passer sa fortune à don Casimiro : nous savons que doña Blanca ne peut pas accepter ce sacrifice comme une suffisante expiation de son crime. Il faut que ce soit la mort qui vienne la délier du serment qu’elle s’est fait et, en fléchissant la dureté de son orgueil, réconcilier son repentir d’épouse avec son de voir de mère. Doña Clara épousera don Carlos et don Fadrique fera lui-même une fin en épousant doña Lucia, sa nièce. Voilà bien des mariages au dénoûment d’un roman un peu triste. Encore n’ai-je pas compté celui de don Casimiro de Solis avec Nicolasa Gorico. Visiblement, de la part du romancier, il y a quelque négligence dans ce dénoûment ou, si l’on aime mieux, quelque désir de bien finir et de prendre congé du lecteur sur d’agréables impressions.

Aussi bien ne faudrait-il pas croire que, dans ce roman même, il manque d’esprit ou de gaîté. Les amours de Nicolasa, par exemple, la jeune coquette de village, et de son Tomasuelo, le fils du maître forgeron, sont contées avec autant de bonne humeur que de juste observation. L’auteur des Illusions de don Faustino, mais surtout de Pépita