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tantôt une centaine d’années, et tandis que toutes les variétés du roman pullulent en Angleterre, en France, en Russie même, il est des pays, au contraire, — l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne plus particulièrement, — où le genre, en dépit du talent et de la bonne volonté de quelques-uns, n’a tracé que de maigres racines et ne paraît décidément pas vouloir s’acclimater. Nous avons vingt occasions de retrouver l’Allemagne et l’Italie. Ici, la grandiloquence naturelle à la langue espagnole a peut-être exercé quelque influence. Et lorsque, par exemple, dès les premières pages, on tombe sur une description de ce goût déclamatoire : —« La mélancolie de cette vallée n’est pas la mélancolie profonde et glaciale que l’on respire dans les bois d’Ecosse, mais une mélancolie qu’illuminent les rayons furtifs de ce resplendissant soleil de Grenade, toujours brillant, dans le ciel dépouillé, du feu dont le regard s’allume dans l’ardeur de la passion, ou encore, semblable au sourire de la volupté sur les lèvres de la bacchante, mélancolie au sein de laquelle les amers souvenirs du désenchantement s’endorment sous les ailes diaprées de mille riantes espérances[1], » — on peut au moins se prendre à douter que ce magnifique et retentissant vocabulaire daigne descendre à l’expression de ces sentimens moyens, de ces détails familiers, de ces menues descriptions qui sont pourtant l’âme même du roman de mœurs. Hâtons-nous de dire que ce passage n’est pas emprunté de don Juan Valera. Mais plutôt, l’originalité de l’auteur de Pépita Jimenès et des Illusions de don Faustino serait une simplicité savante, autant du moins qu’il nous soit permis d’en juger au travers, non pas même d’une traduction, mais d’une adaptation.

L’opinion commune, je le sais, des auteurs que l’on adapte, et des romanciers particulièrement, c’est qu’à les traiter de la sorte, on les mutile. Ils estiment que l’adaptateur, pour délicatement qu’il opère, leur fait tort du meilleur d’eux-mêmes. On a remarqué que, toutes les fois que l’on proposait à un romancier de retoucher quelque chose à son œuvre, c’était justement le plus bel endroit qu’on lui demandait de gâter. Tant il est vrai que la critique est aveugle ! A plus forte raison, si l’adaptateur s’avise de retrancher toute une scène, pouvez-vous être sûr, non-seulement qu’au gré de l’auteur c’était infailliblement la meilleure, mais encore qu’elle était la scène capitale, je veux dire la scène où s’acheminait, comme vers un but marqué, tout ce qui la précède, et d’où conséquemment tout ce qui la suit découlait, comme de sa source. L’adaptateur, presque toujours, a raison : quelquefois, cependant, l’auteur n’a pas tout à fait tort. Je ne doute pas qu’ici, par exemple, en allégeant son original d’un surcroît de détails, l’adaptateur des Illusions de don Faustino n’ait rendu service à don Juan Valera.

  1. Maria, por Rafaël Gago ; Madrid, 1881.