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l’éloignement des choses hétérogènes. C’est la même opération mécanique qui, au souffle d’automne, sépare les feuilles mortes des feuilles encore résistantes et les rassemble en monceaux divers, de diverses nuances, selon la diversité de leur poids et de leur résistance. En un mot, toute force uniforme, par exemple le vent, qui agit sur des effets différemment résistans, non-seulement les sépare mais, après les avoir séparés, les rassemble en groupes définis et homogènes. Que sur les couches supérieures d’une atmosphère humide viennent à tomber les rayons de la lumière solaire, qui n’est qu’un composé hétérogène d’ondulations de diverses amplitudes, aussitôt ces différentes ondulations se séparent et se distribuent en faisceaux de même couleur, qui viennent s’épanouir en arc-en-ciel ; il n’y a pourtant ni géomètre pour tracer cet arc parfait, ni peintre pour le colorer de nuances disposées dans un ordre fixe, ni magicien complaisant pour se proposer de charmer nos regards par le spectacle d’Iris ; on en peut dire autant de toutes les formes régulières. Rien de plus régulier et de plus mécaniquement nécessaire, et en même temps rien de plus gracieux que la ligne spirale décrite par un corps qui subit la résistance d’un milieu ; par exemple, une bulle qui s’élève rapidement dans l’eau y décrit une spirale, et de même un corps de moyenne densité qui y tombe. Il y a des spirales dans les nébuleuses comme il y a des spirales de feuilles autour de la tige d’une plante ; les êtres animés affectent souvent une disposition analogue ; or les géomètres ont démontré que c’est alors la ligne de la moindre résistance. Les formes organiques elles-mêmes sont le résultat fatal du mouvement selon cette ligne, qui est au fond la ligne de l’unique possibilité. Nous n’avons donc aucune raison pour croire qu’il y ait une géométrie ou une esthétique innées aux êtres vivans. La permanence relative et la variation également relative des espèces s’expliquent par la même loi de ségrégation et de sélection. Huxley compare justement l’action de la nature, telle que Darwin nous la montre, à l’action d’un criblé qui, laissant passer les corps trop petits et retenant les corps plus gros, opère ainsi un triage tout mécanique.

En résume, la pensée n’a point besoin, ni pour subsister, ni pour s’expliquer le monde et son ordre stable, de compléter le principe de causalité par celui de finalité universelle : le premier est complet à lui seul et adéquat au « système » des mouvemens de l’univers. Il entraîne, en effet, ce corollaire que les mêmes raisons ou causes déterminent les mêmes effets, puisque la différence serait sans cause ; or, en vertu de ce corollaire, il est inévitable que des effets semblables et des formes semblables se reproduisent dans l’univers, puisqu’il y a en toutes choses du même, du semblable, de l’analogue. Aussi Aristote avait-il raison de répondre à Platon que, pour