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métaphysique et de la morale ; on suppose donc dans la nature le désir d’une perfection esthétique et morale qui est précisément la chose à démontrer.

De même, pour passer au troisième argument des leibniziens, l’universalité du désir et du besoin chez les êtres sentans, ou même chez ceux que nous nommons à tort inertes, peut-elle s’identifier avec « l’amour, » au sens le plus élevé de ce mot ? A-t-on le droit de dire, avec Aristote, que si tout être désire, c’est que la beauté suprême est « cause de tout par l’amour qu’elle inspire ? » A-t-on le droit d’ajouter encore que cet amour inspiré aux choses est précisément ce qui les rend libres par la spontanéité qu’il implique ? — Nobles doctrines, à coup sûr, mais qui devraient être présentées pour ce qu’elles sont, je veux dire pour des hypothèses aussi hasardeuses que séduisantes, non pour des « principes » implicitement admis par les naturalistes et les mécaniciens eux-mêmes. Tout ce que permet d’induire une méthode métaphysique moins hardie, c’est que les lois universelles sont probablement identiques aux lois biologiques, non aux lois esthétiques et morales. Mais ces lois biologiques elles-mêmes ne semblent être primitivement que la mécanique des besoins et des plaisirs intérieurs, exprimés par les mouvemens extérieurs.

Ainsi les « principes métaphysiques » du mouvement, fussent-ils la tendance, le besoin, le désir même, ne sont pas pour cela « l’amour du beau et du bien. »

On nous dira peut-être : — Soit., les principes, ou sources premières du mouvement, encore incertaines pour le métaphysicien, ne suffisent pas à démontrer les causes finales ; mais il n’en est plus de même quand on passe à la considération des lois primordiales du mouvement. Ces lois, que la mécanique suppose dans tous ses théorèmes parce qu’elles marquent les directions essentielles de tout mouvement, précisent ce que la notion de tendance avait encore d’indéterminé : elles nous révèlent un désir effectif du beau, un amour du bien, conséquemment une « action efficace » de la cause finale dans la nature. C’est ce qui faisait dire à Leibniz que les lois mêmes de la mécanique sont des lois contingentes, de convenance, de sagesse. « Par la seule considération des causes efficientes ou de matière, dit Leibniz en des pages que M. Ravaisson aime à citer[1], on ne saurait rendre raison de ces lois des mouvemens découvertes de notre temps, et dont une partie a été découverte par moi-même. Car j’ai trouvé qu’il y faut recourir aux causes finales, et que ces lois ne dépendent pas du principe de la nécessité, mais du principe de la

  1. Voir aussi M. Janet, les’ Causes finales, page 647 et suiv.