Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persistance de la force motrice, laquelle, vue du dedans, peut être une force sentante ; ce naturalisme dynamiste n’admet nullement pour cela une finalité intentionnelle, esthétique, morale. Dans les atomes d’Epicure placez par hypothèse une sensibilité sourde, vous n’aurez pas pour cela un épicurisme finaliste, car ce sera le sentiment agréable et immédiat de l’être qui sera primitif, et la tendance à l’équilibre final avec l’extérieur ne sera que dérivée. La science contemporaine, loin de réserver une place dans son domaine à la finalité en vue du beau, tend donc plus que jamais à la rejeter dans une sphère toute différente, celle de la métaphysique, et à n’admettre en son propre sein que les lois du plus inflexible mécanisme.


II

Il y aurait peut-être un moyen de sauver, au moins dans le domaine de la métaphysique, la finalité en vue du beau et du bien : ce serait de la faire reconnaître dans les principes et les lois primordiales du mouvement, c’est-à-dire dans les fondemens mêmes du mécanisme et du dynamisme universel. Telle fut l’ambition de Leibniz et telle est aussi celle de M. Ravaisson, qui a reproduit les preuves données par Leibniz même. L’artifice de ces preuves consiste à établir d’abord que, tout fût-il explicable mécaniquement dans la nature, les lois de la mécanique ne pourraient elles-mêmes s’expliquer que par des principes métaphysiques, connus ou inconnus, dont la physique seule ne peut rendre compte. Ceci posé, on s’empresse ensuite de conclure que les principes du mouvement, étant métaphysiques, sont par cela même esthétiques et moraux.

Entre ces deux assertions il y a pourtant une énorme distance. Examinons les preuves leibniziennes, qui sont aussi dans le fond aristotéliques, et voyons si elles nous permettront de franchir l’intervalle. Pour cela, il faudrait montrer : 1° sous le mouvement la tendance ; 2° sous la tendance le désir ; 3° sous le désir l’amour, et enfin sous l’amour l’action réelle du beau ou du bien. C’est, en effet, ce que M. Ravaisson essaie de faire avec Aristote et Leibniz.

La première preuve invoquée par les spiritualistes consiste à dire que le mouvement, considéré comme un simple changement de relations dans l’étendue, ne saurait se comprendre sans la tendance ; car qu’est-ce qui fait la différence entre un corps en repos au point A et un corps en mouvement qui se trouve au même point A ? C’est qu’il y a dans le second une tendance à passer du point A au point B, laquelle n’existe pas dans le premier. — Tel est l’argument reproduit à plusieurs reprises par MM. Ravaisson et Lachelier, comme par Leibniz[1]. On pourrait, sur ce premier point, discuter longuement.

  1. On le retrouve également dans les Causes finales de M. Janet.