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qu’aux yeux de la science moderne elle ne révèle pas une intelligence organisatrice, et que ses lois fondamentales sont des lois mécaniques, conséquemment mathématiques, conséquemment aussi symétriques et régulières. Quand un des philosophes distingués de l’Angleterre, M. Murphy, insiste, à l’exemple de nos esthéticiens français, sur les corrélations d’organes où la symétrie semble dominer l’utilité, il oublie que cette belle symétrie trahit la rigidité même des lois mécaniques, qui abolissent à des relations constances entre toutes choses, y compris les pièces des mécanismes vivans. Si ce n’est pas en vue de « l’utilité » que la poitrine de l’homme, comme celle de la femme, présente deux mamelles, c’est encore bien moins en vue de la « beauté. » La présence commune des mamelles chez l’homme et la femme indique simplement la communauté du tronc d’où sont sorties les ramifications des sexes. D’autre part, si les mamelles se sont oblitérées chez l’homme, c’est encore un effet purement mécanique produit par l’absence d’usage : tout organe non exercé s’atrophie nécessairement. La beauté est donc ici un simple résultat de l’équilibration anatomique, loin d’être un principe. Pareillement, quand M. Ravaisson voit une intention d’artiste, presque une intention morale, dans la haute géométrie et dans la beauté de ses formes primordiales, nous craignons qu’il ne confonde l’effet avec la cause, la conséquence avec le principe. La beauté est encore ici un résultat de la nécessité même et une expression du déterminisme mathématique. On peut sans doute arriver à démontrer ou à deviner des théorèmes par des raisons d’esthétique, c’est-à-dire au fond, de régularité et de simplicité, mais c’est là une sorte de démonstration renversée dans laquelle on remonte de la conséquence au principe au lieu d’aller du principe à la conséquence. De même, il est parfois suggestif en histoire naturelle de supposer une fin et de remonter aux moyens, parce que la nécessité même des besoins chez l’être vivant oblige l’organisme à se conformer et à se conduire comme si une intelligence se proposait pour but ses conditions de conservation ; ce qui revient au fond à dire que l’animal doit être fait de manière à subsister par l’excellente raison qu’il subsiste. Ces idées toutes subjectives d’utilité prévue ou de beauté voulue sont alors des fils conducteurs et comme des artifices de logique, par lesquels nous renversons l’ordre des choses pour le remonter en sens inverse. En même temps nous humanisons la nature en substituant le subjectif à l’objectif par une sorte d’anthropomorphisme scientifique, dont le vrai savant n’est pas plus dupe qu’il ne l’est de l’avantage provisoire des classifications artificielles.

Les objections de M. Ravaisson, de M. Janet et des autres philosophes spiritualistes à la théorie qui explique le dessin harmonieux