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résisté sont ceux qui avaient les organes les mieux adaptés à cette lutte même. M. Ravaisson ne parle point de Darwin ni de sa grandiose conception du monde ; il eût été intéressant d’examiner si elle n’est pas un moyen d’exclure définitivement toute finalité des sciences physiques et naturelles.

On nous objectera que la finalité en vue de l’utile n’est pas la seule, que les nécessités de l’existence ne paraissent pas tout expliquer dans la nature, qu’il y a des régularités, des symétries, des proportions, des beautés qui non-seulement ne semblent pas du nécessaire, mais paraissent du superflu. Nous répondrons que ce superflu cache, au contraire, les nécessités les plus profondes et les plus primordiales. De même que nous avons vu la science moderne réduire l’apparente finalité de la nature en vue de l’utile au principe de Cuvier sur la corrélation des organes, c’est-à-dire sur les « conditions d’existence, » de même nous allons voir l’apparente finalité de la nature en vue du beau s’expliquer par le principe de Geoffroy Saint-Hilaire sur les symétries anatomiques. La gloire ultérieure de Darwin a peut-être trop fait oublier l’influence de Geoffroy Saint-Hilaire sur le développement présent des sciences naturelles. On sait que ce dernier reprochait à Cuvier de n’avoir considéré dans les organes que leur utilité pour les fonctions de la vie, conséquemment leurs formes et leurs usages, et d’avoir ainsi conservé dans la science une apparence de finalité. De la considération des fonctions de l’être, qui est encore superficielle, il faut passer à celle de ses matériaux, qui est bien plus profonde. Les organes, disait Geoffroy Saint-Hilaire, ne sont pas seulement des instrumens utiles ou nécessaires à la vie, ils sont avant tout des pièces ou parties matérielles d’un mécanisme anatomique, qui s’engrènent comme les roues d’une machine et ne peuvent pas plus se déplacer ou se transposer que ces roues. En d’autres termes, l’être vivant, végétal ou animal, a nécessairement une structure anatomique dans laquelle les diverses parties ont une situation déterminée et constante, quel que soit d’ailleurs leur usage. De là, pourrait-on ajouter, ces figures géométriques régulières et ces proportions esthétiques qui ravissent l’artiste ou le philosophe. Par exemple, qui ne sait que dans tous les animaux vertébrés l’extrémité antérieure a un dessin uniforme et se compose de quatre parties dont les situations réciproques sont toujours les mêmes, toujours connexes géométriquement et mécaniquement ? Ce sont l’épaule, le bras, l’avant-bras, et un dernier tronçon qui peut prendre des formes très diverses. Chez certains animaux, il forme la main, chez d’autres la griffe, chez d’autres l’aile, chez d’autres la nageoire, etc. « Un organe peut être transformé, atrophié, anéanti même, jamais transposé. » Un organe a beau