Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Rien n’est beau que le vrai, dit un vers respecté,
Et moi je lui réponds, sans crainte d’un blasphème :
Rien n’est vrai que le beau, rien n’est vrai sans beauté[1].


Un métaphysicien profond de notre époque, qui, d’accord avec le poète, voit dans la beauté non-seulement le signe de la moralité, mais celui de la vérité même et surtout de la vérité philosophique, s’est efforcé de montrer dans l’esthétique le fond caché de la science comme de la morale. S’inspirant à la fois d’Aristote, de Leibniz, de Kant et de Schelling, M. Ravaisson arrive à cette conclusion que « la beauté, et principalement la plus divine et la plus parfaite, contient le secret du monde[2]. » Que de choses qui, pour le savant, s’expliquent, comme le croyait Leibniz, par des principes d’ordre, de symétrie, d’harmonie, et conséquemment de beauté ! On a pu créer une géométrie supérieure en cherchant dans la symétrie la dernière raison des théorèmes et en ramenant les propriétés scientifiques des figures aux exigences d’un dessin esthétique ; la géométrie est une peinture réduite à ses linéamens primitifs, et l’espace dans lequel le géomètre combine ses constructions est comme la toile sur laquelle l’artiste agence ses figures idéales. « A voir, dit quelque part M. Ravaisson, les découvertes récentes d’une géométrie sublime, qui nous montre dans la variété des formes dont l’étendue est susceptible des métamorphoses de la forme la plus simple, et pour principe unique de ces métamorphoses une loi typique en quelque sorte et primordiale d’harmonie et de beauté, je ne sais s’il ne se trouvera point que la dernière et radicale raison de toute mathématique, qui se confond avec l’activité créatrice, est ici et comme partout le bien et le beau. » Les propriétés des nombres, qui ravissaient Pythagore, sont aussi des lois de symétrie, dont Fermat découvrit, comme on sait, quelques-unes parmi les plus importantes. Dans les phénomènes de la cristallisation et dans ceux de l’organisation, bien des choses paraissent également s’expliquer par des corrélations de symétrie. Enfin, dans l’histoire naturelle, vouloir comprendre les organes par leur seule utilité, c’est, selon le spiritualisme, prêter à la nature clés vues purement utilitaires ; c’est oublier que, le plus souvent, elle semble chercher le beau pour le beau et faire de l’art pour l’art. A plus forte raison, la morale ne saurait-elle être purement utilitaire sans aller contre cette nature même que le naturalisme veut suivre. Les partisans de la finalité esthétique sont ainsi amenés à voir, non pas seulement dans la volonté et la moralité humaine, mais même dans la nature, la recherche spontanée ou réfléchie, la réalisation plus ou moins

  1. A. de Musset, Après une lecture.
  2. La Philosophie en France, p. 232.