de justice. On s’aperçoit que ce peuple grec du moyen âge qu’on nous représente comme incapable d’un effort viril a eu, dans sa longue existence, des époques incomparables d’énergie guerrière ; on lui sait gré d’avoir été pendant neuf cents ans le rempart toujours armé, toujours résistant de l’Europe chrétienne contre les Slaves, les Bulgares et les musulmans ; on remarque enfin que, pendant les siècles les plus sombres du moyen âge, Constantinople n’a pas cessé d’être un foyer de civilisation, dont l’éclat a plus d’une fois rayonné sur les contrées occidentales. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris qu’au VIIIe et au IXe siècles, quand les barbares se disputaient l’Europe, il ait eu assez de force pour conquérir à sa langue, à ses mœurs, à sa religion, à son génie l’Italie méridionale et qu’il ait pu s’arracher à l’influence latine.
Je n’irai pourtant pas jusqu’à dire qu’on ait jamais été Romain sur les côtes de la Calabre comme on l’était dans le Latium. Je crois qu’à l’époque même où ce pays subissait sans protester l’influence de Rome, quand il en imitait les usages et en parlait la langue, il n’était pas devenu tout à fait étranger à son ancienne patrie. Le Grec se montrait quelquefois encore sous ce Romain de fraîche date. Certaines qualités, et surtout certains défauts, rappellent en lui son origine. Le poète Stace, un Napolitain, qui aimait Naples avec passion, montre de quelle manière l’esprit des deux peuples pouvait se réunir dans une même personne. Par momens, dans sa Thébaïde, il a la vigueur et l’âpreté du génie de Rome ; il est raide et violent comme Lucain, et quand il nous décrit Capanée escaladant les murs de Thèbes ou la mort de Tydée, on croirait lire la Pharsale. D’autres fois il est élégant, souple, amolli comme le plus habile des alexandrins. La société napolitaine, qu’il nous fait entrevoir dans ses Silves, est curieuse aussi à observer : ce sont en général des gens d’esprit qui aiment la nature, les arts, la poésie, qui vivent heureux dans de magnifiques villas, où.ils ont rassemblé des statues précieuses, des tableaux de maîtres, où ils font de petits vers maniérés à leurs momens perdus. Surtout ils se tiennent loin des fonctions publiques, où leur naissance et leur fortune semblent les appeler. L’empereur a beau se fâcher et froncer le sourcil, on ne les verra pas venir à Rome pour être questeurs ou édiles et entrer dans le sénat. Ce pays semble inspirer à ceux qui l’habitent le goût des loisirs délicats, l’amour du repos. Naples est toujours pour les Romains la paresseuse Naples, otiosa Neapolis ; ce que viennent chercher à Baïes, à Pompéi, à Stabies, au bord du Sarnus, près de la mer, tous ces grands seigneurs fatigués, c’est le calme, l’oisiveté, otia Sarni. Par malheur, alors comme toujours, l’oisiveté était la mère des vices. Tout ce pays avait une mauvaise réputation auprès des Romains sévères ; ils prétendaient qu’il était difficile