Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intéresse presque autant Rome que la Grèce. Les Romains, comme on sait, sont un peuple formé de l’union de plusieurs peuples. Autour de ce petit noyau latin qui fut le centre et le cœur du vaste empire, que de races différentes sont venues successivement se grouper ! Quoique la grande cité qui est née de cette fusion ait su se faire une physionomie originale et qu’elle ne ressemble tout à fait à aucune autre, on distingue pourtant en elle, quand on regarde bien, les qualités qu’elle tient de ses divers ancêtres. La science a essayé de dire ce qu’elle a pris des Sabins, ce qu’elle doit aux Étrusques. Les Grecs aussi ont fourni leur part au mélange, et il est facile de voir qu’ils ont largement contribué à la formation de l’esprit romain. Personne ne le conteste : on a seulement prétendu que, dans les premières années, la Grèce n’avait pénétré à Rome que par l’intermédiaire des Étrusques ; c’est une erreur : elle y entra directement et sans avoir besoin de prendre ce chemin détourné. Ce furent, on n’en peut pas douter, ces marins de la Grande-Grèce qui, avec leurs marchandises, répandirent dans la ville naissante leurs usages, leurs opinions, leurs idées. Il n’est pas vrai sans doute, comme le prétendaient quelques vieux annalistes, que Numa ait étudié à Crotone, sous la direction de Pythagore, et qu’il en ait rapporté ses règlemens et ses lois ; mais il est sûr que Rome s’est mise de très bonne heure à l’école des Grecs, et que ces marchands audacieux qui débarquaient dans tous les havres de l’Italie furent ses premiers maîtres. Nous savons aujourd’hui d’une manière certaine qu’elle a pris l’alphabet dont elle s’est toujours servi aux Grecs de Cumes ; elle a dû leur emprunter beaucoup d’autres choses. C’est d’eux qu’elle tient toutes ces légendes qui ont si profondément modifié sa vieille religion ; c’est de là qu’a coulé ce que Cicéron appelle « non pas un petit ruisseau, mais un fleuve d’idées et de connaissances » qui a fécondé l’Italie. On peut donc dire qu’aussi loin qu’on remonte dans ces temps ; rectales, on trouve les Grecs italiotes entretenant avec les Romains des rapports assidus et les initiant à leur civilisation. S’il en est ainsi, il faut bien se résoudre à faire entrer l’histoire de la Grande-Grèce dans celle de Rome.

A partir des guerres puniques, les villes grecques de l’Italie sont soumises aux Romains : dès lors elles n’ont plus d’histoire ; elles s’effacent et disparaissent dans la grande unité. La lumière se concentre sur la capitale de l’empire et il n’en tombe plus sur les provinces que quelques pâles rayons. On aimerait pourtant à savoir jusqu’à quel point la Grande-Grèce, qui avait exercé tant d’influence sur Rome, a subi la sienne à son tour, ce qu’elle a conservé de son ancienne patrie et ce qu’elle a pris à ses nouveaux maîtres, si elle s’est tout à fait latinisée, ou si elle est toujours restée