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si vive admiration. On n’y était reçu qu’après de longues épreuves, on y vivait ensemble dans la pratique des mêmes études et l’exercice des mêmes vertus ; les associés portaient le même costume, ils étaient assujettis à des abstinences rigoureuses, ils faisaient vœu d’obéir. La parole du maître ne devait pas être discutée, et toute opposition cessait devant ce mot : « Il l’a dit. » Voilà le premier couvent qui ait été fondé en Italie, six siècles avant le Christ, et il y obtint d’abord un très grand succès. En face de Sybaris, où régnaient tous les vices, Crotone donna l’exemple de toutes les vertus. Tandis que leurs voisins ne pouvaient pas supporter la vue d’un laboureur qui cultivait son champ et craignaient de prendre une courbature rien qu’en regardant un ouvrier travailler, les Crotoniates se remirent à la gymnastique, à la palestre, et ces exercices rendirent à leur race toute sa vigueur. Nulle part les athlètes n’ont été plus nombreux qu’à Crotone, et elle a donné naissance au célèbre Milon, qui fut un disciple dévoué de Pythagore.

Les mœurs publiques corrigées, l’institut étendit son influence sur la politique. M. Lenormant croit qu’en apparence les pythagoriciens ne changèrent pas l’ancienne constitution de la ville ; ils laissèrent subsister le sénat, composé de mille citoyens, qui était censé gouverner la cité ; seulement, à côté du sénat, une réunion de trois cents adeptes, la fleur de la secte, qu’on appelait le synédrion, menait les affaires ; sans avoir de titre officiel, ils possédaient réellement la puissance. Le gouvernement fut ainsi concentré dans les mains de quelques personnes. Il est probable que Pythagore, comme tous les philosophes grecs, avait peu de goût pour la démocratie et qu’il aimait mieux Sparte qu’Athènes. Il installa donc à Crotone un régime tout à fait aristocratique. Mais ce régime ne dura que quelques années. La violence faite aux instincts et aux habitudes de ce peuple était trop forte ; son amour pour les plaisirs, sa passion d’indépendance et d’égalité devaient bientôt se réveiller. A la suite d’une révolution, le parti populaire reprit le pouvoir et il se vengea par des cruautés inouïes de toute l’impatience que lui avaient causée ces prêcheurs de vertus. Les pythagoriciens furent poursuivis dans les rues, brûlés dans leurs conventicules, et l’on chassa du pays tous ceux qui parvinrent à échapper aux premières fureurs du peuple. Crotone, rendue à la démocratie, ne tarda pas à retomber dans ses anciennes mœurs, et quand vint l’heure des dangers, elle ne trouva plus assez de force pour résister aux Romains.


III

On vient de voir à quel point l’histoire des villes de l’Italie méridionale se rattache à celle des Grecs ; il serait aisé de montrer qu’elle