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avait cours chez eux et dont les gens vertueux des autres pays affectaient de paraître fort scandalisés. « Si vous voulez vivre longtemps et vous bien porter, disaient les Sybarites, ne voyez jamais le lever ni le coucher du soleil. » Est-ce un précepte de mollesse, comme on le prétend, et veut-on dire qu’il faut donner la plus grande partie du jour au sommeil ? M. Lenormant n’y voit qu’un aphorisme d’hygiène fort sage, et il recommande à tous ceux qui s’arrêteront sur l’emplacement de Sybaris de le méditer et de le suivre. Dans ces pays dangereux, ce sont les brouillards du matin, c’est le serein du soir qui donnent surtout la fièvre. Le meilleur moyen de l’éviter, c’est de rester chez soi quand le soleil se couche et quand il se lève. Peut-être entre-t-il un peu de bienveillance dans cette explication ; mais d’ordinaire on traite si sévèrement les Sybarites, on cherche de tous les côtés, on prend de toutes mains tant de prétextes pour les accuser qu’on peut bien leur être indulgent une fois sans crime.

Sybaris ne tomba pas sous les coups de Rome, comme Tarente. C’est dans une lutte fraternelle qu’elle périt. Les Grecs avaient apporté dans leur nouvelle patrie leurs défauts comme leurs qualités. Parmi ces défauts, il n’y en avait pas de plus grave que cet esprit de rivalité et de jalousie, ces haines de voisinage, ces querelles de famille qui les ont toujours divisés et qui ont fini par les perdre. Dans la Grèce nouvelle, comme dans l’ancienne, les cités passaient leur temps et usaient leurs forces à se chicaner, à se combattre. Elles se détestaient plus entre elles qu’elles ne haïssaient leurs ennemis naturels. Leurs luttes intestines avaient ce caractère particulier d’acharnement qui distingue les inimitiés des frères, et quand une d’elles était victorieuse, elle traitait plus durement sa rivale vaincue que ne l’aurait fait l’étranger. Les Romains avaient de cruelles injures à venger contre Tarente, cependant ils la laissèrent vivre, et, grâce à leur générosité, elle existe encore. Après la défaite de Sybaris, les habitans de Crotone voulurent qu’il n’en restât pas même un souvenir. Ils commencèrent par raser les murailles et renverser les monumens, puis ils détournèrent le cours du fleuve Crathis et le firent couler sur la cité détruite. Le fleuve fit si bien son office qu’on cherche aujourd’hui la place où s’élevait la grande ville. M. Lenormant, qui croit l’avoir trouvée et qui la désigne avec beaucoup de précision, demande que sur cet emplacement on entreprenne des fouilles et affirme qu’elles seront fécondes. Je lui laisse la parole ; je veux citer ce passage de son livre où respire tant d’enthousiasme et d’espérance : on ne saurait donner trop de publicité à ces nobles exhortations. Qui sait ? elles tenteront peut-être les gouvernemens ou les particuliers, s’il en reste, qui sont décidés à se mettre en frais pour l’antiquité.