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compacts à nous décrire seulement cette partie du littoral italien que baigne la mer Ionienne et qui va de Tarente à Squillace. — Les guides les plus consciencieux, les plus détaillés, se contentaient jusqu’ici de deux ou trois pages.

M. François Lenormant possède deux grandes qualités pour être un excellent voyageur : il est curieux et il est savant. Sa curiosité a ce caractère qu’elle s’étend à tout et que, si elle a des préférences, elle n’a pas au moins d’exclusion. Assurément il a surtout cherché dans la Grande-Grèce des souvenirs antiques, mais l’antiquité ne l’occupe pas assez pour le rendre indifférent aux choses d’aujourd’hui. En même temps qu’il recueille les débris du passé, il observe le présent et nous dit ce qu’il en pense. Il prend intérêt et nous intéresse à tout. Dans les villes qu’il traverse, il ne se contente pas de visiter les musées, il ne s’enferme pas dans les bibliothèques ; il court les rues, il fait parler les gens du peuple, il écoute les propos qu’ils tiennent et les histoires qu’ils racontent, il note leurs chansons ; il entre dans les boutiques et regarde travailler les ouvriers. Surtout il ne manque pas de suivre la foule au marché. « C’est chez moi une habitude, dit-il, que d’aller, quand je suis en voyage, flâner dans le marché aux herbes et dans le marché aux poissons des villes où je passe. C’est un spectacle qui m’amuse toujours et où je n’ai jamais manqué d’apprendre quelque chose sur la nature du pays et les usages de la vie des habitans. » Voilà comment il a pu réunir et nous donner des renseignemens de toute sorte, qui nuisent peut-être à l’unité, mais qui ajoutent singulièrement à l’intérêt de son livre. En le lisant, on sera surpris de voir un érudit de profession connaître tant de choses qui semblent d’abord étrangères à la science, ou plutôt on verra que la science, quand elle a touché à tout, relie aisément le présent au passé et trouve moyen d’expliquer ce qui se faisait autrefois par ce qui se fait aujourd’hui. C’est ainsi qu’en regardant les orfèvres calabrais travailler ces bijoux légers et peu coûteux composés de minces feuilles d’or estampées dont se parent les contadines du pays, M. Lenormant, qui se souvient qu’on a trouvé des bijoux semblables dans les tombes grecques, se rend compte de la façon dont les ouvriers antiques s’y prenaient pour les faire. Ce procédé, qu’on appelle lavoro a sfoglia, est tout simplement une tradition ancienne qui s’est conservée dans ce coin de l’Italie. A Tarente, il s’empresse d’aller voir les célèbres parcs d’huîtres du mare piccolo. La méthode qu’on emploie pour les élever est celle qu’à l’époque de la guerre sociale, un riche Romain, Sergius Orata, emprunta à la ville voisine de Brindes et qu’il implanta dans le lac Lucrin, où elle s’est conservée. De nos jours, Coste est allé l’y chercher pour la naturaliser à