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Paléï s’en revint à la maison ; il s’assit sur le perron, et il joua sur sa bandoura : Misère de vivre en ce monde. D’autres oublient le salut de leur âme et portent des caftans brodés d’or ; lui, il est en Sibérie, comme un chêne dans le taillis, seul, tout seul…

J’ai cité cette byline, qui m’a paru la plus belle de toutes. Celles qui se rapportent directement à Mazeppa ne sont qu’une longue imprécation contre « le traître, le chien, le musulman. » Ce sujet n’est pas nouveau pour les lecteurs de la Revue : M. Rambaud l’a touché dans ses études sur le cycle petit-russien ; là où a passé cet écrivain si informé des lettres russes, il ne reste rien à glaner. Aussi bien nous nous sommes attardés avec les poètes ; quittons-les pour demander à des témoins plus sévères ce qu’il faut penser de Mazeppa, de sa légende, des deux romans d’amour entre lesquels elle a grandi : les historiens vont nous le dire.


II

Ils ne sont pas absolument d’accord sur les origines assez obscures de notre héros ; la tradition, avec ses variantes habituelles, remplace ici les documens absens. D’après M. Kostomarof, l’historien si autorisé de la Petite-Russie, Ivan Stépanovitch Mazeppa[1] était de petite noblesse, originaire de Volhynie, sur les confins de la Pologne et de l’Ukraine ; suivant M. Solovief, il était de famille kosake et reçut personnellement la noblesse du roi de Pologne. Ce qui est certain, c’est qu’il était de race et de religion russes, appartenant par conséquent à cette petite minorité de noblesse dissidente, fort maltraitée par le fanatisme polonais. Vers 1660, le jeune Mazeppa parut à la cour de Varsovie, et le roi Jean-Casimir se l’attacha en qualité de gentilhomme de la chambre. Son extraction petite-russienne et sa foi étrangère lui attirèrent mille avanies de la part des courtisans polonais, hautains et intolérans. La situation d’un schismatique, dans ce foyer d’un catholicisme intraitable, était à peu près celle d’un huguenot à la cour de Henri III. Le caractère violent de Mazeppa ne s’accommodait pas de ces dédains ; il se prit de querelle avec un de ses compagnons, tira l’épée dans le palais même de Jean-Casimir ; c’était là dans les idées d’alors un crime de lèse-majesté ; il dut quitter la cour et se confiner dans sa terre de Volhynie. Non loin de cette terre demeurait un vieux seigneur polonais, le pane Falbovsky, marié à une toute jeune femme. Au dire de ses biographes, Ivan Stépanovitch était

  1. Je respecte l’orthographe fixée par l’usage en Occident ; mais le nom doit s’écrire avec un seul p, Mazepa.