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pouvaient rester secrètes et qu’on ne cherchait d’ailleurs nullement à dissimuler. En un clin d’œil, ce fut le sujet, en Allemagne comme en Europe, des conversations de tous les politiques de cabinet et de tous les nouvellistes de cabaret. Toutes les imaginations furent en campagne, toutes les suppositions circulèrent, depuis les plus modestes jusqu’aux plus ambitieuses. Suivant les uns, Frédéric n’aspirait pas à moins qu’à mettre lui-même la couronne impériale vacante sur sa tête, et puis d’un protestant souriait déjà à la pensée du saint-empire tombant entre les mains d’un hérétique. Au dire des autres, il s’agissait uniquement de s’emparer de l’héritage contesté du duché de Juliers pour le soustraire aux chances de désordre que les conflits menaçans pouvaient amener. D’autres versions encore affirmaient que Frédéric était déjà en alliance réglée, soit avec le grand-duc, soit avec le Bavarois, pour appuyer les prétentions de l’un ou de l’autre, moyennant qu’on lui en tiendrait compte et que ses services seraient payés, on ne disait pas en quelle monnaie. Un jour les troupes étaient en marche dans la direction du Mecklembourg, le jour suivant c’était vers la Silésie, le troisième vers les bords du Rhin ou vers Nuremberg.

Le langage des envoyés prussiens dans les diverses cours, confus, contradictoire, variait suivant les lieux et les interlocuteurs, et autorisait tous les commentaires. Quant aux diplomates résidant à Berlin, il n’y avait rien à apprendre d’eux ; Valori était consigné à la porte du Rheinsberg, et un brave Saxon, le général Manteuffel, ami personnel de Frédéric, mais qu’on savait en relation avec la cour de Dresde, ayant voulu pousser un peu avant ses investigations, fut poliment prié de quitter Berlin[1].

Fleury, d’abord inattentif, ne tarda pourtant pas à prendre l’éveil. Dans son désir de tout assoupir et de mener les choses en douceur et en longueur, ce bruit d’armes le gênait singulièrement. Pour savoir un peu mieux à quoi s’en tenir, il tâcha d’abord de sonder le comte de Camas, qui venait prendre congé de lui après avoir rempli sa mission extraordinaire, et, afin de le mettre en goût de conversation, il lui laissa entrevoir, sans pourtant trop insister, que, pour peu que l’électeur de Bavière trouvât quelque appui en Allemagne, la France ne serait pas éloignée de le seconder au moins dans sa candidature à l’empire. Camas fut, à ce qu’il parait, d’une réserve peu encourageante, car en le quittant, Fleury ne put se retenir de dire avec humeur : « On voit bien que cet homme est un réfugié : nous n’avons pas de pires ennemis. »

Il se décida alors à expédier lui-même deux envoyés confidentiels en éclaireurs. L’un était tout naturellement indiqué : c’était le

  1. Valori à Amelot, 8 novembre 1740. — Pol. Cor., t. I, p. 87 et 95.