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songerait à un divorce. L’Autriche, mieux avisées peut-être, essayait de le toucher à un point plus sensible que le cœur. L’ambassadeur de Charles VI lui avait d’abord sauvé la vie en le protégeant contre la colère de son père, qui voulait le mettre en jugement, et en déclarant qu’un prince de maison souveraine ne pouvait être justiciable que de l’empereur. Puis quand il fut pardonné et que la sordide économie du vieux roi le laissait souvent privé du nécessaire, le même envoyé était venu lui offrir de venir en aide à son dénûment par une subvention régulière sur la cassette impériale, proposition qui fut acceptée avec un empressement aussi peu royal que philosophique. Ce moyen de se mettre en grâce paraissant réussir, la Russie, à son tour, voulut en user, mais, elle dut y mettre plus de façons. Ce ne fut pas de l’impératrice Anne elle-même, mais de son premier ministre Biren, que les avances furent censées provenir ; elles passèrent par les mains du ministre de Saxe à Saint-Pétersbourg, digne seigneur qui avait gagné la confiance du prince pendant son séjour à Berlin, en lui enseignant la métaphysique. Les remises d’argent eurent lieu par des voies détournées, après avoir été annoncées, d’après un chiffre convenu, sous forme d’envois de livres d’histoire ou de philosophie.

Quant à la France, ou elles n’avait pas cherché, ou elle n’avait pas trouvé de façons équivalentes de se faire bien voir. Un de ses envoyés, La Chétardie, homme de goût et bon convive, avait bien su se faire admettre, à plus d’une reprise, dans l’intimité du Rheinsberg : mais il n’en était pas de même de son successeur, le marquis de Valori, vieux soldat cachant un mérite véritable sous des manières rustiques, que rendait, plus gauches encore son extrême obésité. Frédéric, qui devait plus tard lui rendre plus de justice, l’avait pris en déplaisance et s’amusait à le tourner en ridicule. Aussi quand le pauvre diplomate, assez maladroitement, avait demandé une audience pour lui parler d’affaires, il n’en avait obtenu que cette sèche réponse : « Les commissions dont vous êtes chargé ne peuvent être relatives qu’à la personne du roi, et je ne crois pas qu’il soit séant que je m’en informe. » — Sur quoi l’interlocuteur, un peu déconfit, rendait compte du mauvais succès de sa démarche à son ministre dans des termes qui peignaient assez bien et sa propre ignorance et les incertitudes de l’opinion. « Le prince royal, écrivait-il, donne l’exemple d’une attention continuelle à s’observer sur les démarches les plus simples. A la dissimulation près, son caractère ressemelé à celui de son père : ceux qui le connaissent le mieux sont persuadés qu’il faudra faire connaissance avec lui sur nouveaux frais ; il ne sera plus le même homme, mais ils ignorent ce qu’il sera. » Un état d’attente inquiète était ainsi général d’un bout de l’Allemagne et presque de l’Europe