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distinguées de la cour. Elle excellait surtout dans les arts d’agrément et chantait même avec tant de perfection et de sentiment que son maître, un compositeur italien distingué, disait que, pour faire sa fortune, elle n’aurait qu’à paraître une fois sur le premier théâtre de Vienne : genre de mérite fort apprécié dans une ville où le sens musical a toujours été très développé. Il ne paraît pas qu’on eût pris autant de peine à cultiver ses connaissances littéraires, si on en juge du moins par l’orthographe très défectueuse de ses lettres écrites tour à tour dans un français un peu germanique et dans un allemand trop francisé. Elle parlait pourtant couramment plusieurs langues et savait du latin, ce qui était nécessaire à une future reine de Hongrie pour n’être pas trop étrangère à la langue officielle de ses sujets. Chrétienne fervente et fille dévouée, elle ne goûtait que les plaisirs simples et les joies de l’intérieur. Sa mère, l’impératrice Elisabeth, qui aimait le bruit et le mouvement, se plaignait que, bien qu’elle lui eût fait apprendre à tirer passablement à la cible, elle n’avait jamais pu lui faire prendre goût à la chasse. Tout venelle, en un, mot, semblait fait pour plaire plutôt que pour éblouir. C’était une douce compagnie qui égayait une cour un peu assombrie, comme une fleur délicate qui s’épanouit dans les fissures d’un vieil édifice[1].

Ceux-là seulement qui l’approchaient de très près, ceux surtout qui avaient à l’entretenir à l’occasion de ses droits et de ses intérêts futurs, avaient pu s’apercevoir que, sous cet extérieur de grâce féminine, se cachait le germe de dons et peut-être de passions plus mâles. Quand elle était amenée à parler soit des maux qui accablaient l’empire, soit du rôle qu’elle devait y jouer un jour, sa voix et son regard s’animaient et son langage trahissait une netteté d’intelligence et surtout une fermeté de résolution dignes de l’avenir qui l’attendait. La jeune fille parlait tout d’un coup de manière à étonner de vieux politiques ; elle savait et disait ce qu’elle voulait. C’est ainsi qu’elle n’avait laissé à personne le soin de conduire la négociation très délicate qui avait pour but d’assurer le choix de son époux. Tout prétendant à la main de l’héritière d’Autriche étant par là même un aspirant désigné à l’élection de la couronne impériale, et les concurrens ne faisant pas défaut, la préférence à donner entre eux était une décision de grande importance qui intéressait non-seulement l’Autriche, mais l’Allemagne entière, et où la raison d’état avait droit d’être écoutée encore plus que le sentiment. La princesse, cependant, n’hésita pas, dès le premier jour, à déclarer, avec l’ingénuité d’un cœur innocent, le penchant qu’elle éprouvait pour son jeune cousin, le prince François, héritier du

  1. D’Arneth, Histoire de Marie-Thérèse, t. I, p. 10, 13, 86, 355, 356.