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contradictoires. Seulement l’un et l’autre sont des écrivains consciencieux qui ont puisé directement aux sources et ne marchent que preuves en main et citations en note. On peut avoir de part et d’autre égale confiance dans les pièces du dossier. La contradiction des plaidoyers n’est plus alors qu’un élément utile pour éclairer la conviction du juge,

Mais le témoignage véridique et irrécusable par excellence, — celui qui est véritablement sans prix, — c’est celui de Frédéric lui-même, dont on vient de nous donner en six volumes magnifiquement imprimés la Correspondance politique dans son intégrité, y compris ses notes de cabinet les plus intimes. Nous avons là Frédéric tout entier, non plus le Frédéric qui s’est peint lui-même dans l’Histoire de mon temps avec une franchise apparente qui n’est pas sans art, — non plus le Frédéric transfiguré qu’adulaient à Paris tant de flatteurs gagés, recrutés par lui dans les rangs les plus élevés de la littérature et de la philosophie ; — mais un Frédéric sans fard et sans masque dictant ses ordres à ses serviteurs avec une liberté et souvent un cynisme qui ne permettent pas de douter de sa sincérité. On peut l’en croire, ce Frédéric-là, même et surtout quand il parle de sa personne, car les censeurs les plus sévères auraient cru le calomnier en parlant de lui comme lui-même. Par malheur, ces précieux aveux ne vont pas au-delà des quatre premières années de son règne ; mais ce début suffit pour faire juger l’homme et préjuger la suite.

Pourquoi d’ailleurs hésiterais-je à l’avouer ? ce sont ces années surtout, ces années de début dont l’étude présente pour nous, à mon sens, un intérêt tout particulier. Cette aurore du grand règne de Frédéric, c’est la naissance de la puissance même qui atteint aujourd’hui sous nos yeux et à nos dépens son plein et colossal développement. Quel Français n’éprouverait une curiosité douloureuse à la regarder dans son berceau ? Et ces premières épreuves de Marie-Thérèse, qu’est-ce autre chose que l’ouverture du grand drame dont nous avons vu le dénoûment à Sadowa et l’épilogue à Sedan ? Le lieu de la scène est pareil, les personnages qui engagent l’action ou qui y interviennent sont les mêmes ; ils s’appellent, comme hier, Prusse, Autriche et aussi France, car, aux deux époques, dans la lutte de ses voisins d’outre-Rhin, la France s’est trouvée tout de suite directement compromise. Nos diplomates négociaient à Berlin, en 1740, à la veille de l’invasion de la Silésie, comme en 1866 à la veille de l’invasion de la Bohême, et alors, comme il y a quinze ans, nos armées ont suivi de près nos diplomates. Raconter les premières passes d’armes du duel de Frédéric et de Marie-Thérèse, c’est donc, qu’on le veuille ou non, écrire un chapitre de l’histoire de France et presque d’histoire contemporaine.

C’est ce rapprochement si naturel à établir entre des faits passés