Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Petits-fils du XVIIIe siècle, savons-nous mieux qu’en dire et qu’en penser que les témoins oculaires ou les héritiers directs ? On pourrait en douter, car les passions sont encore bien vives et bien des questions demeurent indécises. En tout cas, dès qu’on se mêle d’en parler, il faut tâcher de voir le plus clair, de penser le plus juste, de commettre le moins d’erreurs et d’être dupes du moins de mensonges possible : c’est à quoi l’étude des originaux peut être utile, et c’est à ce point de vue que me paraissent particulièrement intéressans à consulter les trois ouvrages dont j’ai mentionné le titre en tête de ce travail, et qui sont les produits les plus récens sortis de la chancellerie de Berlin et de celle de Vienne.

Tous trois sont destinés à éclairer la grande période qui occupe le centre du XVIIIe siècle et que remplissent les règnes également prolongés et pareillement illustres de Frédéric II et de Marie-Thérèse. Aucune époque ne méritait mieux d’être approfondie. Je ne connais pas, en effet, beaucoup de spectacles aussi saisissans que l’apparition simultanée sur le théâtre de l’histoire de ce prince libre penseur et de cette pieuse femme montant sur le trône le même jour pour se suivre presque d’aussi près dans la tombe, et pendant quarante ans occupant le monde par une rivalité politique, militaire, diplomatique, philosophique et religieuse, qu’ils ont léguée à leurs descendans, qui a traversé toutes les péripéties de la révolution française et dont notre génération n’est pas bien sûre d’avoir vu le terme. Par quel jeu incompréhensible de la Providence ces deux natures royales, si richement, mais si diversement douées, ont-elles vu leurs destinées liées et enchevêtrées en quelque sorte depuis le premier jour jusqu’au dernier, à ce point que tous les actes de l’une ont réagi sur ceux de l’autre et que, sur les champs de bataille comme dans les conférences diplomatiques, soit qu’il s’agisse de se disputer la Silésie ou de se partager la Pologne, on les rencontre toujours face à face ? Ne dirait-on pas la matière toute préparée d’un de ces parallèles académiques à la mode de Plutarque qu’affectionnait naguère notre littérature classique ?

Ni le Prussien Droysen ni l’Autrichien d’Arneth ne se livrent à ce jeu un peu puéril de comparaisons et d’antithèses ; mais chacun a son héros favori et ses prédilections patriotiques. L’auteur de l’Histoire de la politique prussienne a reçu, on le voit, des communications confidentielles destinées à glorifier la mémoire de l’ennemi de Marie-Thérèse ; Un respect tendre, loyal et presque filial perce, au contraire, à toutes les pages du monument que M. d’Arneth élève à la mémoire de l’illustre aïeule de ses souverains. Chez l’un comme chez l’autre, on reconnaît l’influence des jalousies dynastiques et nationales ; de là, dans le récit des mêmes faits, bien des points de divergence, souvent même des affirmations différentes ou